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SCÉNOGRAPHIE LYRIQUE

L'explosion des années 1970

Retrouver un spectacle intact, soixante-huit ans après sa création : ce rêve d'un archéologue du théâtre pouvait se réaliser en 1970, au terme de l'histoire des représentations de Pelléas et Mélisande à l'Opéra-Comique. Ni la peinture hallucinée de Valentine Hugo, d'inspiration onirique et fantastique (1947), ni les volumes géométriques d'André Boll, directement inspirés d'Appia (1959), ni le dessin linéaire, noir sur blanc, de Cocteau, conçu lui-même comme une réminiscence du décor de la création (1963), n'ont réussi à évincer les sept tableaux peints par Jusseaume et Ronsin en 1902 : ils sont reconstitués à l'occasion du cinquantenaire de la création, repris pour le centenaire de la naissance de Debussy (1962) et pour les trente ans de Pelléas de Jacques Jansen (1969), qui assure à cette occasion la mise en scène, au moment où, à Londres, Kaslik et Svoboda réalisent la production dirigée par Pierre Boulez.

Les pratiques les plus poussiéreuses du théâtre lyrique (mises en scène assurées par d'anciens chanteurs, succession de réalisations différentes dans, ou plutôt devant, les mêmes décors) sont donc toujours en vigueur au moment où les grands créateurs de la scène abordent les œuvres du répertoire à l'intérieur des institutions lyriques les plus prestigieuses. L'exemple de l' Opéra de Paris est particulièrement caractéristique : sous la direction de Rolf Liebermann (1973-1980), la plupart des événements musicaux apparaissent aussi, ou d'abord, comme des événements théâtraux. Patrice Chéreau, en proposant après Felsenstein une nouvelle dramaturgie des Contes d'Hoffmann, retrouve derrière les stéréotypes du second Empire la dimension fantastique du romantisme allemand (1974) ; à l'inverse, Jorge Lavelli inscrit Faust dans la mythologie bourgeoise du xixe siècle en utilisant une immense halle de verre et de fer réalisée par Max Bignens (1976) ; il expose le mystère de Pelléas en pleine lumière (1977), et rend à Œdipus Rex, grâce à une pente métallique mobile, terrifiante machine à jouer, la force élémentaire de la tragédie (1979). Enfin, la création mondiale du troisième acte de Lulu (1979) suscite moins de débats que la mise en scène de Chéreau, qui refuse le stéréotype de la « femme fatale » pour faire de Lulu une énigme, une absence, et que les décors de Peduzzi, inspirés par l'expressionnisme et l'architecture monumentale fasciste, qui transposent l'action dans les années 1930. De même, la renaissance du festival d'Aix-en-Provence, sous l'impulsion de Bernard Lefort, est principalement due aux fêtes baroques ou bourgeoises, humoristiques ou dérisoires organisées par Lavelli (Le Carnaval de Venise, 1975 ; La Traviata, 1977 ; Alcina, 1978).

Cette prise de pouvoir du metteur en scène à l'opéra n'est pas seulement un phénomène français. À la Scala, Luca Ronconi, passionné par les machines de théâtre, utilise un système de tapis roulants pour imaginer, à travers Don Carlos, puis Wozzeck (1977), des mondes qui glissent vers le néant. Sur les grandes scènes allemandes, à Salzbourg, à San Francisco, Jean-Pierre Ponnelle met en scène un répertoire très éclectique, en fondant une direction d'acteurs réaliste et animée sur une analyse scrupuleuse de la partition ; ses productions les plus originales restent sans doute le cycle Monteverdi (1979) et le cycle des opéras de jeunesse de Mozart (1980), réalisés à Zurich en collaboration avec Nikolaus Harnoncourt.

Surtout, à l'occasion du centenaire de la création de la Tétralogie à Bayreuth, les relectures de l'œuvre se multiplient ; la réalisation d'Ulrich Melchinger (Kassel, 1970-1974), inspirée par la science-fiction et la bande dessinée, ou celle de Joachim Herz (Leipzig, 1973-1976),[...]

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Écrit par

  • : chargé de mission pour le service culturel du Grand Théâtre de Genève
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, docteur de troisième cycle, assistant à la faculté lettres de Rouen

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Médias

Chaliapine - crédits : Evening Standard/ Hulton Archive/ Getty Images

Chaliapine

Maria Callas - crédits : Keystone Features/ Hulton Archive/ Getty Images

Maria Callas

Maria Callas et Tito Gobbi - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

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