SCÉNOGRAPHIE LYRIQUE
La mise en scène contemporaine
Qu'on le veuille ou non, le metteur en scène est devenu l'un des acteurs essentiels du monde lyrique. Et si son rôle n'a cessé de croître depuis l'époque où Richard Wagner portait lui-même ses ouvrages à la scène, il est indéniable qu'après la génération des grands anciens que furent Max Reinhardt, Wieland Wagner ou Walter Felsenstein, la mise en scène d'opéra a connu de nouveaux et profonds bouleversements dès la fin des années 1960.
Renouveau et révolution
Dans l'après-68, certains directeurs de théâtre prennent conscience que l'opéra, art « bourgeois » depuis un siècle et demi, doit se remettre en question sous peine de s'essouffler, faute de renouvellement de ses spectateurs. Pour Rolf Liebermann, qui arrive à la tête de l'Opéra de Paris en 1973, l'ouverture du genre à un public élargi passe notamment par un renouveau de l'interprétation scénique. C'est la raison pour laquelle il fait appel à des metteurs en scène venus du théâtre parlé. Inaugurant son règne en confiant Les Noces de Figaro de Mozart à Giorgio Strehler, il ne tarde pas à inviter le jeune Patrice Chéreau et son décorateur Richard Peduzzi pour monter Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach, avant une Lulu de Berg qui a fait date (1979). L'exemple parisien n'est pas isolé. Dans des villes comme Berlin, où l'activité théâtrale a toujours été importante, on observe des phénomènes semblables.
Le signe le plus marquant de cette évolution demeure la fameuse production de L'Anneau du Nibelung de Wagner au festival de Bayreuth en 1976, dans une mise en scène de Patrice Chéreau. Wolfgang Wagner, directeur du festival, avait bien senti la nécessité d'un renouveau. En fait de renouveau, ce fut une révolution : délaissant l'épure des spectacles de Wieland Wagner, qui avaient généré pléthore d'épigones, Chéreau et Peduzzi font de la saga wagnérienne une métaphore du xixe siècle dont elle est le fruit, et montrent ainsi sa modernité inébranlable. Leur lecture « politique » est contrebalancée par un amour de l'effet théâtral – et une remarquable direction d'acteurs – propre à retranscrire la dimension merveilleuse de cette parabole. Leur vision désarçonna tellement le public du haut lieu wagnérien que sifflets et menaces de mort accueillirent l'équipe française. Ces réactions, à la mesure des bouleversements rencontrés par l'opéra à cette époque, n'allaient pas tarder à évoluer : en 1981, lorsque le spectacle de Chéreau est donné pour la dernière fois, l'ovation dure une heure et dix minutes.
Par cet événement d'une haute portée symbolique, l'entrée dans une ère nouvelle est officialisée. Au cours des années 1970 et 1980, on voit donc des hommes de théâtre aussi important que Giorgio Strehler, Antoine Vitez, Jorge Lavelli, Klaus Michael Grüber, Peter Stein, Luca Ronconi ou Peter Brook proposer des mises en scène d'opéra. Tous, cependant, restent fidèles au théâtre, n'accordant à l'opéra et à ses multiples contraintes (temps de répétitions restreint, lourdeur technique, masses orchestrales et chorales à gérer) qu'une maigre part de leur temps.
Les « transpositeurs »
L'un des aspects les plus significatifs de leur travail, et notamment du Ring de Chéreau, est leur manière de poser la question du lieu et du temps où se déroulent les événements représentés. Renonçant aux peaux de bêtes qui tenaient lieu de costumes dans la tradition wagnérienne, Chéreau situe l'action de L'Anneau du Nibelung à l'époque de la révolution industrielle. Smokings et barrages de béton, docks crasseux et verrières patriciennes consacrent ce qu'on a pris l'habitude d'appeler la « transposition contemporaine ». Mais si Chéreau ne manie celle-ci qu'avec prudence,[...]
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Écrit par
- Alain PERROUX : chargé de mission pour le service culturel du Grand Théâtre de Genève
- Alain SATGÉ : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de lettres, docteur de troisième cycle, assistant à la faculté lettres de Rouen
Classification
Médias
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