SCÉNOGRAPHIE
La scénographie repensée : d'Appia à Piscator
Adolphe Appia
On peut situer l'origine des plus profondes révolutions de la scénographie contemporaine dans les théories développées par le metteur en scène et scénographe suisse Adolphe Appia (1862-1928). À partir de l'étude d'une mise en scène de l'œuvre de Wagner, L'Anneau du Nibelung, il publie deux essais capitaux : La Mise en scène du drame wagnérien (1895) et La Musique et la mise en scène (1899). Il critique l'illusion et le naturalisme, refuse la notion d'art total (le Gesamtkunstwerk de Wagner) tendant à la fusion des différents composants de la représentation. À l'inverse, il prône leur harmonisation hiérarchique en privilégiant le texte dramatique, et surtout l'acteur. C'est autour de l'action de celui-ci que doit se modeler l'espace théâtral, lequel ne saurait trouver sa cohérence dans « la fausseté d'un univers scénique à deux dimensions où s'inscrit la réalité à trois dimensions du corps de l'acteur ». D'où la nécessité de créer un espace à trois dimensions, qui rompe avec l'enfermement caractéristique de la scène à l'italienne, et de substituer aux toiles peintes des dispositifs simples : cubes, plots, marches, paravents, qui, combinés avec la lumière, doivent renforcer l'expressivité du corps humain. Appia développera ces expérimentations auprès de son compatriote Jaques-Dalcroze, créateur d'une gymnastique rythmique, puis dans ses mises en scène et scénographies. Les espaces construits en volume par Appia sont fonctionnels et transformables par rapport au drame, à l'acteur, et laissent de moins en moins de place à la représentation descriptive. « C'est par la disposition générale de la scène que l'acteur prend contact et réalité avec l'espace scénique. » Dans ses dispositifs, il renouvelle l'utilisation de la lumière, dont les variations favorisent la puissance expressive de l'espace. Mais ce théoricien novateur ne se limite pas au seul champ de la scène. Ses conceptions le portent tout naturellement à se préoccuper de son rapport avec la salle, et à refuser la barrière dressée entre la scène et la salle à partir d'un cadre qui emprisonne la représentation. En 1908, il incite les frères Morax, au Théâtre populaire du Jorat, à briser cette antinomie en créant un escalier reliant la scène à la salle. Il poursuivra ses recherches sur des « salles de synthèses » aux volumes unifiés, surtout destinées à affiner la relation acteur-spectateur. Plus tard, dans sa vision utopique d'un « art vivant auquel tous participeraient », il ira jusqu'à envisager un lieu théâtral appelé « la salle, cathédrale de l'avenir, qui, dans un espace libre, vaste, transformable, accueillera des manifestations les plus diverses ». Une sorte de préfiguration de la polyvalence scénique qui sera appliquée avec plus ou moins de bonheur quelques décennies plus tard.
E. G. Craig
Les avancées d'Appia ne peuvent être dissociées des apports de son cadet de dix ans, Edward Gordon Craig (1872-1966), metteur en scène et théoricien anglais. Celui-ci définit le théâtre comme un art du mouvement dans un espace symbolique fondé sur la rencontre géométrique des lignes et des plans, des jeux d'ombre, des lumières et de la couleur. Son rejet du naturalisme s'inscrit aussi dans un désir de révélation de l'invisible. Si ses projets restent en majorité à l'état d'esquisses en raison de leur radicalisme (Macbeth, 1905, et Le Roi Lear, 1908, pour Max Reinhardt), ses écrits, diffusés à travers l'Europe, exercent une profonde influence. Parmi ses réalisations marquantes, Rosmersholm (1906) à Florence, et surtout, à l'invitation de Stanislavski, Hamlet(1912) au Théâtre d'art de Moscou[...]
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Écrit par
- Jean CHOLLET : journaliste et critique dramatique
Classification
Médias
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