SCEPTICISME
Le terme de scepticisme a fini par désigner aujourd'hui, dans la langue commune, une attitude négative de la pensée. Le sceptique passe volontiers non pas seulement pour un esprit hésitant ou timoré, ne se prononçant sur rien, mais pour celui qui, quoi qu'il arrive ou quoi que l'on puisse dire, se réfugie dans le dénigrement. Aussi croit-on encore que le scepticisme est l'école du refus et de la dénégation agressive. En réalité, et par son étymologie même (skepsis signifiant en grec « examen »), le scepticisme s'interdirait plutôt toute position tranchée, à commencer même par celle qui consisterait à affirmer, bien avant Pyrrhon et comme l'abdéritain Métrodore, que nous ne savons qu'une seule chose : que nous ne savons rien. Les sceptiques se qualifient eux-mêmes de zététiques, c'est-à-dire de chercheurs ; d'éphectiques, qui pratiquent la suspension du jugement ; d'aporétiques, philosophes de l'embarras, de la perplexité et de l'issue non trouvée. De plus, les historiens latins et grecs de la philosophie sceptique, comme Aulu-Gelle, Sextus Empiricus et Diogène Laërce, maintiennent une distinction très stricte entre les académiciens, qui soutiennent l'impossibilité de rien connaître, et les sceptiques, qui prennent la vie et l'expérience pour critères de leur conduite. Pour comprendre le scepticisme, il faut donc répondre successivement à ces deux questions : En quoi le scepticisme ancien a-t-il consisté ? Pourquoi le scepticisme a-t-il, dans l'histoire de la philosophie, été méconnu et trahi dans son intention et sa portée ?
Signification du scepticisme ancien
Données historiques
Le fondateur du scepticisme grec est Pyrrhon (fin du ive s. av. J.-C.). Il n'a laissé aucun écrit philosophique. Né à Élis, petit bourg du Péloponnèse, il y vécut d'abord comme peintre, puis se convertit à la philosophie, principalement sous l'influence d'Anaxarque, un abdéritain, en compagnie duquel il suivit Alexandre le Grand lors de la campagne d'Asie. De retour à Élis, il fonda une école philosophique qui lui valut une grande réputation auprès de ses concitoyens. Il vivait pauvrement et simplement en compagnie de sa sœur, Philista, qui exerçait le métier de sage-femme. Son historiographe tardif, Antigone de Caryste, a exprimé en langage anecdotique l'indifférence d'âme, l'impassibilité et la maîtrise de soi qui étaient les siennes. Il eut pour élève Timon, auteur de plusieurs ouvrages en vers et en prose : les Silles (ou Regards louches ; le verbe « sillaniser » signifie désormais : « se livrer à une critique acerbe »), les Images ; un dialogue, le Python (jeu de mots sur Pyrrhon ?) ; deux traités en prose Sur les sensations et Contre les physiciens. Mais son œuvre n'est que très fragmentairement connue.
L'école sceptique connaît une éclipse qui équivaut à une disparition. Une certaine forme de scepticisme est alors pratiquée par les néo-académiciens : Arcésilas (première moitié du iiie s. av. J.-C.), scolarque de la moyenne Académie, et Carnéade (fin du iiie s., début du iie s. av. J.-C.), chef de la nouvelle Académie.
Ensuite, l'école renaît grâce à l'activité d'Ænésidème dont l'œuvre est très bien connue, mais dont la vie l'est tellement peu que l'on hésite sur l'époque où il vécut (fut-il contemporain de Cicéron ou vécut-il un siècle plus tard ?) et le lieu où il enseigna (Alexandrie ?). Après lui, la figure la plus marquante est celle d'Agrippa, de la carrière duquel on ne connaît rien, sinon les cinq arguments que lui attribue Diogène Laërce. Vient ensuite Sextus Empiricus, le grand historien du scepticisme, dont on ne sait pas non plus quand et où il a vécu (entre le début du iie s. et la seconde moitié du iiie s. apr. J.-C., sans[...]
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Écrit par
- Jean-Paul DUMONT : professeur à l'université de Lille-III
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