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SCEPTICISME

Les avatars du scepticisme

Histoire de l'histoire du scepticisme

L'histoire du scepticisme moderne est inséparable de l'interprétation que les Modernes proposent du scepticisme ancien. Tous ceux qui se déclarent sceptiques en un certain sens, comme Montaigne ou Hume, le font par référence à une certaine idée du scepticisme. Mais, par ailleurs, les amis d'un certain scepticisme ne sont pas les seuls à en parler et à se situer par rapport à l'idée qu'ils s'en font. Aussi est-il nécessaire de définir l'image que les grandes philosophies ont donnée du scepticisme ancien.

C'est là toutefois une entreprise difficile. Il faut en effet se livrer à une élucidation historique des raisons pour lesquelles on a ainsi successivement présenté l'ancien scepticisme. Une telle histoire au second degré, dont le projet est de rendre compte des métamorphoses du scepticisme ancien, supposerait, pour être complète, que l'on puisse tenir compte à la fois de l'état de la connaissance des sources à des époques diverses, et de la motivation des choix interprétatifs dont se sont rendus responsables les interprètes. Il est clair qu'à des époques où les textes pyrrhoniens sont bien connus le scepticisme est davantage envisagé comme un empirisme et comme un phénoménisme ; en revanche, lorsque l'influence cicéronienne est prédominante, c'est l'interprétation académique d'un scepticisme négateur qui tend à l'emporter. Mais, par ailleurs, les familles spirituelles auxquelles se rattachent les interprètes orientent si profondément leur lecture que c'est en considérant leur appartenance soit au courant de pensée chrétien, soit au courant de pensée rationaliste qu'il convient schématiquement d'en rendre compte maintenant.

Christianisme et scepticisme

Le premier philosophe à avoir repris aux Grecs et à avoir en quelque sorte vécu de nouveau l'expérience du doute est saint Augustin. Une grande part de son œuvre est consacrée à une mise en lumière des raisons qu'on pourrait avoir de mettre les connaissances humaines en doute. Le dialogue Contre les Académiciens contient dans sa troisième partie toute la matière des raisons de douter qui constitueront « la viande si commune » remâchée par la Méditation première de Descartes. Cependant, le modèle auquel se réfère saint Augustin n'est pas le pyrrhonisme, mais le doute académique, qui offre l'exemple d'une vérité impossible à découvrir et d'une quête destinée à ne pas aboutir. En outre, saint Augustin ne se sent pas à l'aise dans le doute. Alors que la suspension du jugement apparaissait voluptueuse à Ænésidème, elle le plonge dans un véritable désespoir devant la certitude introuvable, la desperatio veri.

Le scepticisme prend chez saint Augustin trois caractères nouveaux : premièrement, ce doute est vécu. Si l'on songe au caractère vécu que prendra le doute cartésien ou que revêtira la conscience malheureuse de Hegel, on doit reconnaître à saint Augustin le mérite étonnant d'inaugurer pour le scepticisme une fonction franchement nouvelle. La raison en est l'impossibilité augustinienne de séparer les fonctions de l'âme, ainsi que le faisaient les disciples d'Ænésidème. L'unité de l'esprit humain confère au doute la dimension totale d'un désespoir entier. Deuxièmement, étant à la fois désespéré et vécu, le doute est une expérience. En tant qu'expérience, ce qui lui confère une intensité particulière, le doute est passager et devient un moment. De ce fait, la recherche sceptique cesse d'être la recherche zététique des moyens de la suspension, pour devenir le moment de la recherche d'une vérité que l'on ne possède pas encore, parce qu'il n'est pas du pouvoir de la science de la posséder. Il faut remarquer ce glissement du sens grec de la recherche sceptique au sens chrétien d'une recherche de la vérité. Troisièmement,[...]

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