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SCHAUBÜHNE DIE, puis WELTBÜHNE DIE

Revue littéraire hebdomadaire, Die Schaubühne (La Scène théâtrale) fut fondée par un jeune critique passionné de théâtre, Siegfried Jacobsohn (1881-1926). Partisan enthousiaste du metteur en scène Max Reinhardt, il voue sa revue presque exclusivement à la critique dramatique. Mais, à partir de 1915, la prolongation de la guerre et l'incertitude de son issue le conduisent à aborder progressivement le domaine politique et à faire, de manière voilée, en raison de la censure, le procès du régime wilhelminien.

Dès avril 1918, pour consacrer ouvertement cette évolution et marquer le départ d'une orientation nouvelle, il modifie le titre de sa revue, qui devient — changement révélateur — Die Weltbühne (La Scène mondiale). Sans renoncer à l'examen des questions littéraires ou artistiques, il donne le primat à la politique et à l'actualité. Revue progressiste, mais non marxiste, elle devient rapidement le carrefour et la tribune des intellectuels de gauche, journalistes et écrivains, durant la république de Weimar. Dirigée successivement par trois rédacteurs (Jacobsohn, Kurt Tucholsky et, dès 1927, Carl von Ossietzky), elle plaide farouchement pour le nouveau régime dont elle dénonce conjointement les insuffisances notoires. Nombre de ses collaborateurs sont juifs. Aussi devient-elle, aux yeux des nationalistes et des nazis, le symbole de la « République enjuivée ». Dès mars 1933, elle est interdite. Ossietzky, incarcéré dans plusieurs camps de concentration, meurt en 1938. En 1936, il s'est vu décerner le prix Nobel de la paix à la suite d'une campagne internationale coïncidant avec les jeux Olympiques de Berlin.

Entre-temps, la Weltbühne reparaît sous un nouveau titre (Die neue Weltbühne) à l'étranger, à Prague (1933-1938), puis à Paris (1938-1939) et enfin, sous son ancien titre, à Berlin-Est. Mais ni le contenu ni l'esprit de ces reprises n'ont grand-chose de commun avec la revue de Weimar. Dirigées dès 1934 par H. Budzislawski, qui agit pour le compte du Parti communiste allemand en exil et deviendra professeur d'université en R.D.A., elles ne sont que le reflet des positions staliniennes et du marxisme le plus orthodoxe.

À l'origine, la Schaubühne se situe dans le sillage du « journalisme individuel », brillamment représenté par Maximilian Harden avec Die Zukunft (L'Avenir) et surtout Karl Kraus avec Die Fackel (La Torche), les deux modèles ouvertement invoqués par Jacobsohn. Sans jamais devenir une publication d'avant-garde aussi célèbre que les revues expressionnistes, elle n'en affirme pas moins des vues originales, qui reflètent le renouvellement de la littérature dramatique au début du siècle. Pour son directeur, sensible aux leçons de Schiller, le théâtre a une fonction privilégiée. Il doit avoir la vocation d'un institut culturel, car, mieux que tout autre genre littéraire, il exprime l'esprit d'un peuple et d'une époque. Pour devenir un instrument de transformation de la société, il doit être mis au service de la vérité et des valeurs éternelles.

Au nom de ce critère, Jacobsohn et Julius Bab, l'un des collaborateurs les plus en vue, récusent le drame wagnérien en raison de son confusionnisme et de sa fausse religion. À Wagner, qui est l'anti-Goethe et le symbole de la mauvaise Allemagne, ils opposent Hebbel qui a le mérite de ressusciter les grands mythes et leur paraît également exemplaire en raison de son style élevé. À ce titre, ils récusent le naturalisme, tel que le pratique encore Hauptmann, dont ils approuvent par ailleurs le symbolisme. Ainsi s'explique également le soutien apporté aux drames de Hofmannsthal, au théâtre de Wedekind, chez qui ils voient un renouvellement du langage. Salué d'abord avec enthousiasme, le théâtre expressionniste divise bientôt les collaborateurs. S'ils sont sensibles à la révolte[...]

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Écrit par

  • : maître assistant agrégé, docteur de troisième cycle à l'université de Lille-III

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