SCIENCES ET PHILOSOPHIE
Le divorce de la science et de la philosophie
Cet édifice harmonieux commence à se lézarder avec Galilée et Newton et le développement de la science expérimentale. La physique se sépare de la métaphysique, et conquiert son autonomie. Dès lors, l'éloignement de la science et de la philosophie ira croissant. Les philosophes auront bien sûr leur part de responsabilité dans cette évolution, et, s'il fallait n'en retenir qu'un seul, ce serait certainement Hegel. Celui-ci prétendait déduire les processus naturels de façon purement spéculative et a priori. C'est ainsi qu'il pensait avoir réussi à démontrer, par un raisonnement logique, que le système solaire ne pouvait comprendre plus de sept planètes, ce qui devait s'avérer rapidement faux. D'une façon générale, à en croire le témoignage du physicien Hermann Helmholtz, au xixe siècle, « la philosophie hégélienne de la nature sembla, à dire le moins, absolument dénuée de sens aux yeux des praticiens des disciplines naturalistes. De tous les éminents savants de ce temps, il n'y en eut pas un seul qui eût pu se contenter des idées de Hegel. Comme, d'autre part, Hegel accordait une importance particulière au fait de s'approprier, justement dans ce domaine, les connaissances qu'il avait trouvées ailleurs en abondance, il se lança dans une polémique d'une véhémence et d'une dureté insolites, principalement contre Newton en sa qualité de représentant, le premier et le plus grand, de la recherche scientifique. Les savants furent taxés d'étroitesse mentale par les philosophes ; et ces derniers furent accusés à leur tour par les premiers de ne proférer que des divagations. À ce point, les savants commencèrent à attribuer un certain poids au fait que leurs travaux fussent tenus à l'abri de toute influence philosophique, et très vite on en arriva à ce que beaucoup d'entre eux, parmi lesquels des hommes éminents, condamnèrent toute philosophie considérée comme une chose inutile, voire comme une rêverie dangereuse ». Le divorce de la science et de la philosophie devenait irréversible. Il s'accompagnait d'une dislocation de la culture occidentale tout entière, désormais écartelée entre un pôle scientifique et un pôle humaniste, entre une science considérée comme aliénante par les philosophes et une philosophie tenue pour extravagante par les scientifiques.
La métaphysique, « inutile et incertaine »
« Un des titres de gloire des génies qui ont illustré le xvie et le xviie siècle, écrit Pierre Duhem, a été de reconnaître cette vérité : la physique ne deviendra point une science claire, précise, exempte des perpétuelles disputes dont elle avait été l'objet jusqu'alors, capable d'imposer ses doctrines au consentement universel, tant qu'elle ne parlera pas le langage des géomètres. Ils ont créé la véritable physique théorique en comprenant qu'elle devait être une physique mathématique » (La Théorie physique). Ils ont compris, en d'autres termes, que la physique ne pourrait progresser de manière sûre et reconnue qu'en se maintenant à l'écart de la métaphysique. L'histoire de la métaphysique nous offre, en effet, pour reprendre la fameuse expression de Kant, l'image d'un « champ de bataille » (Kampfplatz) où s'affrontent, en des querelles interminables, les représentants d'une multitude d'écoles. « Qu'on passe en revue, écrit Duhem, tous les domaines où s'exerce l'activité intellectuelle de l'homme ; en aucun de ces domaines, les systèmes éclos à des époques différentes, ni les systèmes contemporains issus d'écoles différentes n'apparaîtront plus profondément distincts, plus durement séparés, plus violemment opposés que dans le champ de la métaphysique. » Duhem prend l'exemple[...]
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Écrit par
- Alain BOUTOT : ancien élève de l'École polytechnique, agrégé de philosophie, professeur à l'université de Grenoble-II
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