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SCIENCE-FICTION

L'« effet science-fiction » commence au niveau de la phrase. Ainsi Michel Jeury, dans Les Enfants de Mord (1979), fait dire à l'un de ses personnages : « Vous devez savoir que Louis Catalina n'est pas mort. Enfin, il n'est plus mort. » Un autre ajoute un peu plus loin : « J'espère qu'il restera mort un bon bout de temps ! ». Puis, c'est Catalina qui prend la parole : « Je connais cet homme. C'est un de ceux qui ont tenté de ... un de ceux qui m'ont tué ! » Quelques pages encore, et l'on passe de la première à la deuxième personne : « Il y a au moins un million de morts ici. Sans vous compter ! »

Si nous passons de la phrase au récit, l'« effet science-fiction » se décompose en quatre éléments :

– Un univers référentiel ordinaire, éventuellement décrit sur le mode réaliste : pour que Philip K. Dick puisse imaginer une porte douée de parole qui refuserait de s'ouvrir, il faut d'abord qu'il y ait des portes.

– Un élément stupéfiant, capable de produire non seulement la surprise, mais aussi la difficulté ou même l'impossibilité de venir à bout de celle-ci en recourant aux opinions communément admises. La surprise ne pose pas ici un simple problème de méthode, que tout enquêteur doué aurait des chances de résoudre ; elle concerne l'univers ordinaire avec ses règles et ses lois, dont l'une au moins semble ouvertement violée, en sorte que l'acceptation universelle du vraisemblable est remplacée par la déception et la méfiance, parfois aussi par l'effet de miracle et la révélation ; bref, c'est un étonnement fort qui situe l'effet science-fiction (au moins pour ce deuxième élément) du côté du merveilleux.

– Pour approfondir et justifier la surprise initiale, l'auteur peut forcer la dose, accumulant les surprises et les transgressions ; il basculera alors, toujours plus irrévocablement, du côté du « réalisme magique ». Mais il peut aussi entreprendre de triompher du non-sens par un nouveau travail sur le sens, de justifier les transgressions de la perception par des transgressions de la raison ou par un meilleur usage de celle-ci : le paradoxe initial donne le branle à une construction aventureuse, qui de chimère en chimère aboutit à résorber ce paradoxe lui-même.

– Un moment vient alors où la vraisemblance jetée à bas est restaurée, où le lecteur accepte un univers référentiel différent et y trouve de nouveaux repères. Il « reconnaît » les lois de l'autre monde, ou tout au moins les règles du nouveau jeu.

Récit et discours de la science-fiction

Ces quatre éléments ne sont pas nécessairement consécutifs, ni même co-présents : le premier par exemple est beaucoup plus développé chez Jules Verne que chez les auteurs récents ; le quatrième peut être éludé chez Philip K. Dick, qui, à mesure qu'il avance dans son œuvre, a une tendance croissante à laisser le lecteur face au délire qu'il a suscité sans chercher à lui restituer des structures qui, de toute façon, ne seraient plus celles dont il l'a privé.

Restent le deuxième et le troisième éléments – la surprise, puis le redoublement et la limitation de la surprise – entre lesquels paraît se jouer la définition du genre. La surprise, c'est le jeu solitaire (playing) avec l'imprévu, la découverte du mécanisme d'horlogerie et de ses trésors, le merveilleux archaïque ; la limitation de la surprise, c'est le jeu à plusieurs (game), l'accord qui se fait sur des règles de base, le plaisir de remonter la montre – quitte à se tromper, mais en imitant à bon compte le plaisir de ceux qui savent –, la délectation des obsessionnels avant qu'ils se soient laissé enfermer dans le retour infernal du même, la variété (au moins en surface) des images et des discours.

Car la science-fiction[...]

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<em>Matrix</em>, de Larry et Andy Wachowski, 1999 - crédits : Jasin Boland / Roadshow Film Limited / Album/ akg-images

Matrix, de Larry et Andy Wachowski, 1999

<em>Ghost in the shell</em>, de Oshi Mamoru, 1995 - crédits : Bandai/Kodansha/Production I.G. / The Kobal Collection/ Aurimages

Ghost in the shell, de Oshi Mamoru, 1995

<em>Memento</em>, de Christopher Nolan, 2000 - crédits : NEWMARKET CAPITAL GROUP / Ronald Grant Archive/Mary Evans Picture Library / Photononstop

Memento, de Christopher Nolan, 2000

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