SOVIÉTIQUE SCIENCE-FICTION
Le folklore slave, qui fait volontiers siennes les mythologies orientales, et l'héritage byzantin, soumis à l'influence intermittente de l'Occident, telles sont les sources où puisent les courants séculaires de la littérature russe — le merveilleux et l'utopie. Souvent séparés, ils se fondent dans la légende de Kitèj, la ville des justes cachée au fond des eaux. Le fantastique rationalisé, lui, s'affirme avec force au milieu du xviiie siècle, accompagnant le Staatsroman classiciste et ses variantes radicales ou conservatrices, utopiques ou anti-utopiques (V. Trediakovski, A. Soumarokov, M. Kheraskov, A. Chtcherbatov, A. Radichtchev) ; Le Nouveau Voyage (1784) de V. Levchine, alliant la description d'un État idéal (lunaire) à la critique sociale et à la vulgarisation scientifique, est déjà de la science-fiction. Le xixe siècle romantique libère l'imaginaire ; à côté du fantastique, dont Gogol est le maître, la science-fiction « explose » sous la plume de V. Küchelbecker, A. Senkovski, F. Boulgarine, A. Veltman et surtout V. Odoïevski (Les Nuits russes, 1820-1844 ; L'Année 4338, 1840). Elle trouve ses procédés modernes entre les voyages dans le temps et les extrapolations sociales et technologiques. Mais le radicalisme positiviste en vogue va accuser l'imaginaire de fuir la réalité. Par un mouvement inverse, l'utopie s'infiltre dans le récit social, dans la satire, pour donner des livres retentissants de Tchernychevski, Dostoïevski, Saltykov-Chtchedrine. Mais il faudra attendre la révolution du symbolisme pour que la science-fiction s'épanouisse. Ses modèles sont Verne, Flammarion, Wells, mais aussi Odoïevski, Dostoïevski, l'apocalyptique V. Soloviev et N. Fedorov, ce penseur étonnant dont le projet soumet l'univers à la volonté humaine et abolit la mort. Fedorov influencera notamment les rêves de K. Tsiolkovski — le père de l'astronautique russe —, l'œuvre du symboliste V. Brioussov, celle du futuriste V. Khlebnikov, inventeur d'une langue « stellaire ». Les romans « martiens » de A. Bogdanov (L'Étoile rouge, 1908 ; L'Ingénieur Menni, 1913) présentent sa synthèse du fédorovisme, du taylorisme et du marxisme.
L'année 1917 sonne la venue d'une ère nouvelle. Le Proletkult exalte l'homme nouveau taylorisé. Les poètes paysans chantent Kitèj retrouvé (mais leur joie ne survivra pas au communisme de guerre). Le roman utopique fait partie de la nouvelle littérature. Des récits paraissent en grand nombre, qui racontent le monde à venir après l'écrasement final du capitalisme. La science-fiction prête tous ses moyens à ce genre didactique et récréatif, illustré par les romans de A. N. Tolstoï (Aelita, 1922) et de A. Béliaev, le « Jules Verne russe ». Mais des auteurs majeurs mettent en doute l'utopie et le système qui la réalise : E. Zamiatine (Nous autres, 1920), M. Boulgakov (Cœur de chien, 1925), A. Platonov (Tchévengour, 1927). Ces œuvres n'ont pas été publiées en U.R.S.S. avant les années 1980. Dès 1931, l'utopie est, elle aussi, condamnée ; dépassant la « réalité » idéologique, elle n'a pas sa place dans la littérature du réalisme socialiste. Seule survit la science-fiction vaguement technologique pour enfants. Les choses ne changent qu'avec le Dégel : l'utopie de I. Efremov (La Nébuleuse d'Andromède, 1956) ouvre le jeu. On publie la science-fiction occidentale. Pendant une quinzaine d'années, dans le cadre de la science-fiction, on expérimente la satire, l'anti-utopie, l'utopie libérée du diktat idéologique, le roman métaphysique et mystique. Le Cercle de lumière (1965) de A. Gromova, L'Escargot sur la pente (1966), La Troïka (1968), Les Mutants du brouillard (1968) de A. et B. Strougatski, L'Heure du taureau (1970) d'Efremov,[...]
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Écrit par
- Leonid HELLER : professeur à l'université de Lausanne
Classification
Média
Autres références
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EFREMOV IVAN ANTONOVITCH (1907-1972)
- Écrit par Alexis BERELOWITCH
- 488 mots
Paléontologiste et écrivain soviétique. Efremov commença ses études à Leningrad après la Première Guerre mondiale sous la direction de l'académicien P. Souchkine (1922). À partir de 1929, il fut collaborateur technique au Musée de géologie de Leningrad et y termina ses études à l'Institut des mines...