SCIENCE (notions de base)
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Naissance du savoir scientifique
Revenons en arrière afin d’interroger les conditions qui ont permis pour la première fois dans l’histoire des hommes de franchir la distance qui sépare les croyances archaïques des premiers discours objectifs.
Le savoir scientifique prétend parvenir à la vérité. Néanmoins, avant lui, d’autres discours humains ont eu la même prétention, et la notion de vérité a été prise successivement en trois acceptions.
Dans les sociétés qu’on qualifie d’« archaïques » était vrai le récit mythologique transmis de génération en génération, discours traditionnel (« tradition » vient du latin tradere qui signifie « transmettre ») que nul ne songeait à remettre en cause. À cette première acception, qui a survécu aux sociétés archaïques sous la forme des religions, la démocratie athénienne a substitué deux nouvelles modalités de la vérité. Ont d’abord été conçues comme vraies, dans les premiers temps de la démocratie athénienne (vie-ive siècles avant notre ère), les propositions sur lesquelles s’accordaient les citoyens d’Athènes au terme de leurs échanges sur l’agora ou au sein de l’assemblée du peuple. Le vrai était ce sur quoi l’on s’était mis d’accord. Mais Platon comprit le premier qu’un tel accord, supposé acquis par le biais d’une discussion rationnelle, était en réalité le plus souvent le fruit d’une habile manipulation opérée par des orateurs capables de conduire le peuple là où ils souhaitaient le mener. Contre ces démagogues, Platon exigea qu’on étendît les démonstrations dont usaient les géomètres à toutes les constructions de la pensée. « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre » : cette formule gravée au fronton de l’école de Platon, l’Académie, résume la façon dont le philosophe entendait substituer l’autorité de la raison à l’autorité archaïque des récits mythologiques et à celle, plus récente, des discours convaincants.
Platon a donc formulé une troisième conception de la vérité : sont vraies les propositions qui correspondent à la réalité dont elles parlent. Non pas la réalité sensible, toujours en mouvement, qu’Héraclite (vie s.-ve s. av. J.-C.) et ses successeurs avaient renoncé à traduire dans un discours adéquat, mais les idées immuables dont les réalités sensibles ne sont que les copies imparfaites. Cette troisième conception de la vérité a fini par s’imposer et, de la Renaissance jusqu’au début du xxe siècle, toutes les sciences qui ont vu le jour ont été platoniciennes.
Même si tous les présocratiques n’ont pas renoncé à reconnaître un ordre dans le fleuve du devenir qui emporte tout et dans lequel « on ne saurait se baigner deux fois » (Héraclite), tous se sont limités à décrire plutôt qu’à expliquer le devenir. Platon fut le premier à relever le défi, renvoyant dos à dos Héraclite et Parménide (vie-ve s. av. J-C.), avec sa conception opposée d’un Être immobile, éternel et indéfinissable. Le temps met la pensée à l’épreuve ; toutefois, si on le considère comme « l’image mobile de l’éternité » (Timée, 37, d, 5), il n’est pas déraisonnable de vouloir lui imposer les cadres de notre intelligence. À la suite de son maître Platon, Aristote (env. 385-322 av. J.C.) remarqua que la raison pense « par repos et arrêt ». Même si « tout bouge », notre esprit a la capacité de repérer dans ce flux un ordre, de distinguer une régularité. Par ses arguments, Aristote ouvrit la voie à ce qui allait devenir deux millénaires plus tard la science moderne. Longtemps avant Galilée (1564-1642), Aristote comprit que le principe du mouvement – qu’il n’appelle pas encore une « loi » – est ce qui ne change pas dans le mouvement, ce qui demeure stable au sein de ce qui est mouvant.
L’autre anticipation majeure de Platon fut de qualifier les[...]
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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