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SCIENCE (notions de base)

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Déterminisme et liberté

Tant que les sciences ont pris pour objets les phénomènes de la nature, nul n’a envisagé d’imposer des limites à la connaissance scientifique. Tout change à partir du moment où les sciences décident – ce qui est en conformité absolue avec la logique de leur évolution – de prendre l’homme pour objet. Il appartient à Emmanuel Kant de s’emparer le premier de ce problème et d’élaborer une réponse qui est peut-être la seule que la philosophie ait réussi à nous proposer.

La première limitation posée par Kant est la limitation des sciences au monde phénoménal (le mot « phénomène » vient de la langue grecque et signifie « ce qui apparaît », « ce qui se donne à la sensibilité »). Pour qu’un savoir objectif se développe, un phénomène doit se manifester dans l’espace et dans le temps, et la raison humaine peut alors lui appliquer ses catégories, autrement dit son « logiciel interne », et au premier chef la catégorie de causalité. Kant anéantit toute incursion au-delà du phénoménal, toute possibilité d’un savoir du monde intelligible platonicien. Cette restriction n’est pas une autopunition que s’inflige l’esprit humain, mais elle permet, au contraire, la sauvegarde de la dignité humaine.

Dans la préface de 1787 à la seconde édition de la Critique de la raison pure (1re éd. 1781), Kant grave dans le marbre son programme philosophique : « J’ai dû limiter le savoir afin d’établir une place pour la croyance. » De quelle croyance s’agit-il ? De la croyance en la liberté, qui échappera toujours à la démonstration, mais qui peut, et doit, demeurer un « postulat » de la raison. De même que les postulats d’Euclide permettent à l’édifice de la géométrie de se constituer et d’être cohérent, le postulat de la liberté est le seul qui puisse permettre à l’homme de conserver sa dignité en rendant possible d’envisager sans se contredire les êtres humains autrement que comme des objets déterminés.

Si je me crois libre, si je crois que les autres sont libres, si la société considère libres tous les membres de la communauté, alors, et à cette unique condition, les hommes peuvent vivre une existence digne et les institutions sociales préserver leur sens : la justice, qui punit les individus responsables qui ont choisi de désobéir aux lois de la Cité ; le suffrage universel, qui invite des citoyens dotés de libre arbitre à désigner leurs dirigeants et à décider de l’avenir de la communauté ; l’éducation, qui se propose de conduire vers la liberté de l’esprit les jeunes générations assujetties à un formatage social auquel elles n’ont pas les moyens de résister.

L’homme phénoménal, objet parmi les objets, peut être supposé déterminé et soumis à la plus stricte causalité. À l’inverse, l’homme qui se sent responsable de ses actes ne peut plus se concevoir lui-même en tant que chose : il s’estime sujet libre et exige d’être traité comme une personne.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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