COGNITIVES SCIENCES
Fondements : deux grandes approches
Hypothèses et choix stratégiques
L'histoire nous enseigne que les hypothèses fondamentales sur lesquelles s’appuie une science ne sont jamais formulées au départ sous la forme qu'elles prennent lorsque la discipline atteint la maturité : indépendamment des changements, voire des revirements, et des désaccords entre écoles, qui accompagnent son développement, la signification véritable des intuitions de départ ne se dégage que progressivement. Comme on doit s'y attendre en raison de leur jeunesse, les sciences cognitives font l’objet de discussions animées sur la question de leurs fondements. Mais si elles sont aussi vives, c'est sans doute parce qu'elles touchent à la question sensible entre toutes, celle de la nature de l'homme. Le point de vue mécaniste du physiologiste et du médecin, qui s'occupent de la « carcasse », de la « chair », est depuis longtemps dans notre culture accepté dès lors qu'il s'applique : 1. aux fonctions « inférieures » que nous partageons avec le reste du règne animal (même si l'homme les « spiritualise ») ; 2. aux écarts de toutes sortes par rapport à l'état normal. Mais, replacé dans le cadre plus large du naturalisme (c’est-à-dire de l'approche de l'humain comme ensemble de phénomènes de la nature, accessibles aux méthodes des sciences de la nature), ce point de vue se heurte à des objections profondément enracinées, qui prennent la forme de perplexités philosophiques, de difficultés épistémologiques, et aussi de problèmes éthiques.
Il faut donc distinguer deux sources de principes fondamentaux : d'une part, les hypothèses formulées par les scientifiques eux-mêmes, complétées et interprétées par leurs pratiques ; d'autre part, les reconstructions, par les philosophes, visant à expliciter ces hypothèses et ces pratiques, à leur donner une unité et une cohérence interne, et à en dégager les conséquences ontologiques. Bien entendu, toute présentation synthétique des premières s'apparente aux secondes,
À un niveau aussi général et consensuel que possible, on peut sans doute distinguer trois hypothèses :
1. Principe de la double description des états. Dans la description et l’explication des phénomènes cognitifs, le niveau physique (au sens large : bio-chimico-physique) demeure insuffisant ; il doit être complété (voire, selon certains, essentiellement remplacé) par un niveau représentationnel : les états des systèmes physiques considérés représentent des informations, et c’est dans cette mesure qu’ils sont non seulement descriptibles comme états physiques, mais aussi comme états cognitifs.
2. Principe de la double description des processus. De même, les transformations que subissent ces états ne peuvent être décrites seulement comme des processus physiques (toujours au sens large), mais aussi comme des calculs sur les représentations dont ils sont porteurs.
3. Principe de l'intériorité. Quoique tout phénomène cognitif s’articule d’une part, à un stimulus (effet de l’environnement sur le système – organisme ou système artificiel – siège du phénomène en question, exercé par l’intermédiaire des capteurs du système), de l’autre, à une réponse ou réaction (effet du système sur l’environnement, exercé par l’intermédiaire d’effecteurs), et quoique ces effets constituent les traces empiriques fondamentales à partir desquelles la théorie s’élabore et à l’aune desquelles elle évalue ses résultats, la cognition ne se limite pas à ces effets. Au contraire, l’essentiel du processus se situe précisément entre le stimulus et la réponse, et donne lieu à des généralisations ne dépendant que partiellement des valeurs spécifiques des valeurs que prennent les paramètres extrémaux.
Les deux premiers principes donnent au domaine[...]
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Écrit par
- Daniel ANDLER : professeur de philosophie à l'université de Paris-IV-Sorbonne, ancien directeur du département d'études cognitives, École normale supérieure
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Médias
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