SCIENCES Science et progrès
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Le Progrès « par » la Science ?
Qu'en est-il alors de l'idée que le Progrès humain (avec une majuscule) puisse être assuré par la Science ? Certes, jamais le savoir technoscientifique n'a acquis autant d'efficacité pratique. Des découvertes fondamentales débouchent désormais sur des innovations techniques à grande diffusion : les principes si étranges de la théorie quantique prennent corps dans les lasers, qui lisent les disques compacts ou servent aux découpes industrielles ; les sciences de l'information sous-tendent le déploiement de l'informatique de masse et des télécommunications ; la biologie moléculaire commence à trouver des applications médicales (thérapies géniques). Car la décrue budgétaire évoquée plus haut ne saurait être interprétée comme un désintéressement de l'industrie pour la recherche, mais au contraire comme la quête d'un intéressement beaucoup plus concret et immédiat. En témoigne justement l'attention très étroite portée par les industries pharmaceutiques et chimiques aux recherches en génétique moléculaire, allant jusqu'à faire de certaines séquences du génome humain l'objet de brevets commercialisables ou à concevoir des médicaments « ethniques » (B. Jordan, 2008). En d'autres termes, la continuité même d'une activité de recherche scientifique fondamentale, non orientée vers le profit immédiat et non contrôlée par le marché, est désormais en cause. D'ailleurs, la relative stagnation des découvertes fondamentales que nous avons signalée s'accompagne d'un net découplage entre science et technique, au sens où bien peu des innovations technologiques actuelles se font sur la base d'une connaissance approfondie des phénomènes mis en jeu. Au fond, la fécondation de la technique par la science, plus récente qu'on ne veut bien le dire (elle ne remonte guère plus avant que le milieu du xixe siècle), semble perdre sa dynamique, et le développement de la technique reprendre une autonomie qui l'a caractérisé pendant presque toute l'histoire humaine. La recherche technoscientifique elle-même produit plus de savoir-faire que de savoirs, et le progrès technique retrouve nombre des traits qui le caractérisaient avant la « révolution scientifique ».
Au surplus, les connaissances scientifiques se montrent de moins en moins utiles face aux problèmes (santé, alimentation, paix) de l'humanité dans son ensemble. L'efficacité sociale de la technoscience plafonne, faute de trouver dans la plupart des pays les conditions économiques et politiques qui permettraient son utilisation effective. D'ailleurs, ce sont des savoirs et des savoir-faire connus depuis assez longtemps qui permettraient le plus souvent de répondre aux besoins essentiels de la majorité de l'humanité en matière de santé (traiter les parasitoses et les maladies infectieuses, améliorer l'hygiène pour diminuer la mortalité infantile), d'alimentation (développer les cultures vivrières, accroître les rendements, équilibrer les régimes alimentaires) ou de logement (promouvoir des techniques de construction légères et à bon marché). Non seulement la technoscience des pays riches ne contribue-t-elle que peu à résoudre les problèmes des pays pauvres, mais ce sont souvent ces derniers qui aident les premiers ; ainsi le phénomène constant de « fuite des cerveaux » permet-il aux États-Unis de faire réaliser l'essentiel de leur recherche scientifique (dans le domaine biomédical en particulier) par des chercheurs issus d'Asie et d'Amérique latine ; ainsi encore, les ressources naturelles, végétales surtout, de nombreux pays tropicaux sont-elles exploitées par de grandes multinationales, de l'industrie pharmaceutique en particulier, avec très peu de contrôle et encore moins de bénéfices pour ces pays (M. Bouguerra, 1993).[...]
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Écrit par
- Jean-Marc LÉVY-LEBLOND : professeur émérite à l'université de Nice
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