SCIENCES Sciences et discours rationnel
En première approximation, on pourrait dire que la science est un mode de connaissance critique. Le qualificatif « critique » doit être entendu ici en un double sens : il indique, d'une part, que la science exerce un contrôle vigilant sur ses propres démarches et met en œuvre des critères précis de validation, d'autre part, qu'elle élabore des méthodes qui lui permettent d'étendre de façon systématique le champ de son savoir. La démarche scientifique est à la fois réflexive et prospective. Il est essentiel de remarquer que les principes organisateurs de la science ne lui sont pas fournis par une instance extérieure ; l'élaboration des critères de validité et des méthodes de recherche fait partie intrinsèquement du développement du savoir scientifique lui-même. Cela ne signifie pas cependant que ces principes sont reconnus en toute clarté et de façon exhaustive dans le moment même de leur mise en œuvre. Immanents aux démarches effectives, ils doivent être progressivement dégagés de celles-ci par un effort spécifique de thématisation. Cet effort doit prendre lui-même une forme critique ; il ne s'agit pas seulement de mettre en évidence des idées inspiratrices et des critères de construction opérant en fait, de façon implicite, dans la recherche ; il faut aussi les soumettre à un examen clarificateur et à des épreuves de validité, et cela dans l'intérêt même de la recherche.
On pourrait utiliser, de façon générale, pour désigner les idées, critères et principes qui sont mis en œuvre dans la démarche scientifique, le terme de « présuppositions ». Ces présuppositions se répartissent en niveaux hiérarchisés ; ainsi, certaine classe de principes peut être commandée par un critère qui joue, à leur égard, le rôle d'une présupposition plus fondamentale. L'étude des présuppositions des diverses sciences, et de la science en général, fait l'objet de ce qu'on appelle les « recherches sur les fondements ». Ces recherches mettent en œuvre des méthodes de caractère scientifique, telles que l'axiomatisation, la construction de modèles, etc. Elles relèvent dès lors elles-mêmes des présuppositions qu'elles ont pour fonction de mettre au jour. Il y a donc inévitablement un processus circulaire dans le travail « fondationnel » ; autrement dit, il n'est pas possible d'établir un fondement des sciences ultime et absolu. Les recherches fondationnelles n'ont jamais qu'un caractère relatif ; elles explicitent les présuppositions, mais toujours relativement à d'autres présuppositions, donc sans pouvoir fournir une justification en dernière instance. Il apparaît en tout cas que la démarche scientifique est critique à deux niveaux : d'une part, au niveau de la recherche elle-même, qui met en œuvre de façon systématique des procédures de validation, d'autre part, au niveau des recherches fondationnelles, qui soumettent à une épreuve de discernement ces procédures elles-mêmes.
La science, au cours de son histoire, s'est rendue parfaitement autonome à l'égard de la philosophie. Elle pose toutefois à la philosophie des problèmes fondamentaux : comment le savoir scientifique est-il possible ? comment s'explique l'accord, au moins partiel, enregistré par la démarche scientifique, entre les opérations de l'esprit et le fonctionnement des systèmes réels ? comment s'explique le progrès de la connaissance scientifique ? qu'en est-il de son historicité ? quelles sont ses limites éventuelles ? quels sont les rapports entre la science et l'action, entre la science et la vie sociale, entre la science et la destinée de l'homme ? y a-t-il ou non une téléologie de la science ? etc. Ces questions relèvent à la fois d'une anthropologie philosophique, dans la mesure où la science est le fait de la raison humaine et intéresse[...]
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Écrit par
- Jean LADRIÈRE : professeur émérite à l'université catholique de Louvain (Belgique)
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