SCIENCES Sciences et discours rationnel
Le type herméneutique
Les sciences humaines posent un problème particulier, car elles s'intéressent aux systèmes de comportement et d'action, individuels et collectifs, dans lesquels la signification (des situations et des conduites) paraît jouer un rôle important, sinon capital. Deux positions peuvent être et sont effectivement défendues. On peut décider de mettre entre parenthèses les significations et de prendre pour modèle inspirateur celui des sciences de la nature. Naturellement, on sera amené à élaborer des systèmes conceptuels originaux et on devra organiser le contrôle empirique tout autrement qu'en physique. Mais il est parfaitement possible, en tout cas, puisque la réalité empirique est appréhendée à travers une grille conceptuelle qui est en grande partie d'origine théorique, de réaliser le contrôle empirique sans avoir à introduire nulle part les significations. Il semble bien que c'est dans cette voie que se sont engagées par exemple la linguistique, l'analyse économique, l'ethnologie, la théorie des jeux.
Mais on peut aussi tenter d'élaborer un type d'analyse capable de ressaisir les significations. Il ne s'agit pas d'enregistrer simplement le vécu des acteurs, mais de retrouver le sens immanent des actions, des institutions, des œuvres, des processus sociaux et culturels. La méthode qui s'impose ici est celle de l'herméneutique : les effets visibles sont considérés comme un texte qu'il faut déchiffrer, qui renvoie à un discours caché dont le texte disponible n'est qu'une sorte de transposition codée. Or, il y a (au moins) deux manières de concevoir l'herméneutique : soit comme prolongement d'une théorie de l' intentionnalité, soit comme théorie interprétative. La première conception est celle que l'on trouve dans la psychologie phénoménologique, qui tente de comprendre le comportement en y retrouvant les modalités concrètes de la vie intentionnelle (dont le concept est fourni par la phénoménologie elle-même). La seconde conception est celle qui est suggérée par la psychanalyse. Ici l' interprétation repose sur une théorie qui postule certaines entités non perceptibles, leur attribue certaines propriétés et décrit les mécanismes par lesquels peuvent être engendrés, à partir de processus situés au niveau de ces entités, les effets qui sont observés. Une telle théorie peut être dite « interprétative » dans la mesure où elle permet de rattacher certains phénomènes visibles à des processus non perceptibles qui les rendent compréhensibles et où elle fournit ainsi une sorte de « lecture » de ces phénomènes.
Le critère de validation d'une herméneutique est ce qu'on pourrait appeler le degré de saturation de l'interprétation proposée, c'est-à-dire la mesure dans laquelle cette interprétation réussit à intégrer dans une totalité cohérente l'ensemble des « textes » disponibles, considérés dans tous leurs détails, y compris ceux qui sont apparemment sans aucune « signification ».
On peut se demander toutefois s'il y a bien lieu de faire une place à part à des « sciences herméneutiques ». La psychologie phénoménologique semble devoir être considérée plutôt comme une discipline philosophique que comme une science. Et les « théories interprétatives » ne semblent pas fonctionner autrement que les théories empirico-formelles. Il y aurait lieu tout de même de faire une différence entre ce genre de théorie et celui que l'on trouve en physique, mais sans nécessairement faire intervenir une catégorie épistémique spéciale. Une théorie physique permet d'obtenir, par voie de dérivation, des propositions expérimentales. C'est ainsi qu'elle peut servir à expliquer ou à prédire des phénomènes individuels tout à fait localisés. Une théorie interprétative semble relever plutôt d'un schéma de compréhension[...]
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Écrit par
- Jean LADRIÈRE : professeur émérite à l'université catholique de Louvain (Belgique)
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