SCIPION L'AFRICAIN (235 av. J.-C.?-183 av. J.-C.)
Issu d'une des plus grandes familles de Rome, la gens Cornelia, Scipion l'Africain incarne l'esprit de conquête et le goût du luxe qui saisirent Rome à la faveur des guerres puniques. Son père Publius Scipion, consul en l'an ~ 218, périt en Espagne au cours de la lutte contre l'empire carthaginois ; Scipion part, en ~ 211, dans la péninsule Ibérique pour le venger et ouvrir un second front contre Asdrubal, dont le frère, Annibal, ravage l'Italie. Il assiège et prend Carthagène, place forte économique, vitale pour le camp punique. Sa droiture le rend populaire auprès des indigènes, lassés de l'occupation carthaginoise. Il peut, alors, rallier facilement les Ibères à sa cause et soumettre l'ensemble de l'Espagne orientale. De retour à Rome en ~ 205 et nommé consul, il utilise la tactique qui lui a si bien réussi et décide, en dépit des protestations du parti des temporisateurs, d'entreprendre contre les Carthaginois, toujours en Italie, une opération de diversion. Il s'installe à Syracuse en Sicile, enrôle quelque 30 000 hommes et débarque en Afrique. Aidé par Massinissa, roi de Numidie détrôné par Syphax, allié des Carthaginois, Scipion ruse, feint de négocier, endort la méfiance de l'adversaire. Une nuit, il fond avec toute son armée sur le camp punique, et achève ce raid éclair par le massacre des Carthaginois à la bataille des grandes plaines. Les prévisions de Scipion se réalisent : Carthage, encerclée, rappelle Annibal d'Italie. À regret, ce dernier quitte la péninsule qu'il occupe depuis quinze ans, demande la paix à Scipion, qui la refuse, et les deux grands chefs de guerre s'opposent à la bataille de Zama (~ 202). Annibal est vaincu et un dur traité met un terme à la deuxième guerre punique. Scipion rentre à Rome, où il est l'objet d'un triomphe exceptionnel, après avoir été salué du titre de l'Africain, qui lui est resté dans l'histoire.
C'est alors que commence pour Scipion une deuxième carrière. Questeur, consul, puis prince du sénat, sa gloire porte ombrage aux vieux romains traditionalistes. Sa vanité agace, son goût pour le faste et les honneurs lui attire particulièrement l'inimitié de l'austère Caton le Censeur ; celui-ci dénonce en lui le symbole de la morgue des grandes familles romaines, et de l'amour du luxe et du lucre. On accuse Scipion de malversations, d'escroqueries. Il se défend un moment, puis préfère s'exiler sur ses terres de Campanie, où il meurt en ~ 183, après avoir demandé que sur sa tombe soit gravée cette inscription : « Ingrate patrie, tu n'auras pas mes os. »
On a écrit que Scipion l'Africain, tacticien de génie, préfigurait déjà César. Mais jamais Scipion ne s'autorisa à franchir un quelconque Rubicon ; il demeura fidèle aux lois de la République romaine et n'eut jamais la tentation de devenir tyran, dictateur ou même despote, comme ses partisans l'eussent sans doute souhaité. Pourtant, la confusion des pouvoirs civils et militaires dans les magistratures romaines constituait un ferment possible de césarisme ; celui-ci semble déjà être en germe dans l'histoire de Scipion l'Africain.
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Écrit par
- Joël SCHMIDT : diplômé d'études supérieures d'histoire, directeur de collections historiques
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