SCRABBLE
Dans l'univers des jeux de lettres, devenus populaires au xxe siècle avec les mots croisés (apparus en 1913), le Scrabble est sans doute celui qui règne en maître. Propriété de la marque J. W. Spear & Sons, aujourd'hui filiale de Mattel, le jeu associe une grille de 225 cases (15 × 15), appelée parfois « scrabblier », et 102 jetons marqués de lettres – sauf deux qui servent de jokers. L'idée est de placer le plus de mots « croisés » sur la grille, horizontalement ou verticalement, mais en comptabilisant la valeur attribuée à chaque lettre et en profitant des coefficients multiplicateurs qu'offrent certaines cases judicieusement placées. La partie s'achève quand un joueur a épuisé son stock de lettres ainsi que la pioche commune. Gagne celui qui a accumulé le plus de points avec ses mots.
Pour commencer, les joueurs, au nombre de deux, trois ou quatre, tirent au hasard chacun sept jetons – appelés familièrement « caramels » en raison de leur couleur blonde. Le reste est placé dans un sac qui sert de pioche. À tour de rôle, chaque joueur s'efforce de placer un mot, éventuellement fléchi, admis par le dictionnaire de référence (en français, L'Officiel du Scrabble) et venant se raccrocher à un mot déjà présent. Seuls les noms communs sont autorisés. L'idéal est bien sûr d'utiliser un maximum de lettres, en privilégiant les plus « chères » (par exemple, K, W, X, Y et Z valent, en français, chacune 10 points ; J et Q valent 8 ; les autres 4, 3, 2 ou 1 point, selon leur rareté), et de tirer parti des cases qui multiplient la valeur des lettres (par trois ou par deux) ou, mieux, celle des mots entiers. Le « scrabblier » en effet comprend huit cases rouges « mot compte triple » et dix-neuf cases roses « mot compte double ». Réussir un « scrabble » en plaçant ses sept lettres d'un coup rapporte 50 points en plus.
Depuis les années 1970, le Scrabble s'est beaucoup développé avec l'essor de tournois et de championnats, notamment dans des formes « duplicatées », c'est-à-dire où tous jouent avec les mêmes lettres. Mais, fondé sur les caractères latins (et sur leur fréquence en anglais), le Scrabble se heurte aux barrières linguistiques. L'éditeur a dû tenir compte des caractéristiques de chacune des principales langues pour attribuer des valeurs aux lettres : ainsi, en anglais, le Q vaut 10 points, mais n'en compte que 8 en français où il est plus courant ; le K rapporte 5 points au joueur anglophone (seule lettre ainsi cotée) mais en offre 10 au joueur de langue française. Il s'est donc constitué des zones linguistiques à l'intérieur desquelles les joueurs s'affrontent. Après le monde anglo-saxon, berceau du jeu, le monde francophone voit se disputer régulièrement des championnats internationaux qui rassemblent des joueurs venus du Canada, de Belgique, de France, de Suisse, du Liban ou d'Afrique francophone. Décliné en plusieurs versions – de poche, de luxe, de voyage, junior, etc. –, le Scrabble semble s'épanouir particulièrement en français, si l'on en juge par le nombre de joueurs, par l'existence de fédérations nationales – dont l'importante Fédération française de Scrabble (près de 12 000 licenciés en 1996) –, par celle d'une revue mensuelle (Scrabblerama), de serveurs Minitel et de sites Internet ainsi que d'un véritable marché de l'accessoire spécifique (tablettes, feuilles de compte, jetons de remplacement, matériel pédagogique, etc.), sans oublier ni les indispensables manuels et dictionnaires spécialisés, ni la publication régulière dans la presse de problèmes – à l'instar de ceux d'échecs ou de bridge.
Nul n'aurait parié sur le succès du jeu à sa naissance. C'est en 1931 qu'un architecte américain au chômage, Alfred Mosher Butts (1900-1993),[...]
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Écrit par
- Thierry DEPAULIS : licencié ès lettres, ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers, historien du jeu
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