SCULPTURE CONTEMPORAINE
Réaffirmations, réinventions, 1990-2015
À ce temps d’expérimentations et d’inventions radicales succèdent depuis les années 1990 des enjeux d’un autre ordre, qui comprennent la réinvention, en formats nouveaux, de procédés ou de thématiques hérités d’autres époques comme l’empreinte, l’ambition monumentale ou la statuaire. La sculpture se révèle ainsi un des terrains privilégiés d’un art contemporain d’autant plus novateur qu’il intègre des éléments clés du passé dans une logique renouvelée.
Traces et empreintes
Polyfocus (1999) de Gilles Barbier propose ainsi un spectacle aussi drôle que terrifiant. L’œuvre rassemble des figures, moulées sur nature, qui sont toutes des représentations modifiées de l’artiste. Gilles Barbier exploite le moulage, procédé ancestral de la sculpture, tout en montrant à quel point la question du clonage, de la reproduction à l’identique de l’être humain, devient la source d’un questionnement existentiel. « La démultiplication métaphorique de ma personne physique par clonage, explique l’artiste en 2000, répond à la demande de corps consommateurs du capitalisme tardif. Mais à un niveau plus profond, les clones laissent à penser que, pris dans une structure schizoïde, le soi multiple […] permet de résister à ce régime […] En utilisant le clonage comme métaphore, je ne peux que suggérer la nature potentiellement résistante ou perturbatrice de ces différentes facettes. »
L’Anglais Mark Wallinger pose, avec le même procédé, un questionnement d’un autre ordre en présentant en 1999 à Trafalgar Square à Londres la statue Ecce homo, autoportrait en Christ par le moulage de son propre corps qu’il expose à nouveau dans le Pavillon anglais de la biennale de Venise, en 2001. Ecce homo constitue le point d’orgue d’une tendance qui vise à critiquer l’art figuratif par l’efficacité même de la figuration. L’artiste souligne cette tension paradoxale : « Il était important que le Christ fût une personne, un homme plus qu’une figure ; je voulais le moulage d’une personne réelle plus qu’une figure générique et le fait que le moulage dût être présenté en marbre plutôt qu’en bronze produit une transformation plus radicale. J’étais aussi enclin à mettre en valeur le lien avec la sculpture classique et Renaissance par une stylisation réduite, mais marquée de la poitrine et du visage. »
Cette dialectique du vide et du plein se retrouve dans le cube de béton Sense (1991) d’Antony Gormley, où les creux visibles de fragments du corps de l’artiste semblent renvoyer à une empreinte complète de son propre corps, enclose dans le socle de béton massif que constitue l’œuvre. Cette sculpture inverse les œuvres les plus connues de Gormley qui exploite souvent le moulage en plein de son propre corps en le multipliant à des dizaines d’exemplaires de manière à produire un effet irréel et inquiétant. Le sculpteur justifie son invention sculpturale, fondée sur la répétition du moulage sur nature de son propre corps, en valorisant la notion de trace et celle de « pression » de l’intérieur vers l’extérieur.
Le creux, le vide, présents de manière immémoriale, par exemple dans les traces de corps brûlés à Pompéi lors de l’irruption du Vésuve en l’an 79 de notre ère et qui n’existent plus que par le vide enclos dans la lave durcie, fascinent l’époque contemporaine. À partir d’une photographie de reportage de janvier 1990 de Georges Mérillon, intitulée Veillée funèbre au Kosovo, primée par la Fondation World Press en 1991 et qui devint, sous l’appellation de « Pietà du Kosovo », une des images emblématiques du conflit qui opposa les Serbes et l’Armée de libération du Kosovo de l’ancienne Yougoslavie nommé guerre du Kosovo (1989-1999), Pascal Convert invente en recourant à la résine blanche et au cuivre une image en creux, une[...]
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Écrit par
- Paul-Louis RINUY : professeur d'histoire et de théorie de l'art contemporain, université de Paris VIII
Classification
Médias
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