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SCULPTURE L'espace sculptural

Qu'elle soit de dimension réduite, comme les amulettes dont on joue dans la main ; ou se dresse à notre taille, comme la ronde-bosse classique ; ou nous domine, quand elle prend la forme du monument, menhir ou dolmen ; dans tous ces cas, la sculpture exige qu'on en fasse quelque peu le tour. Par opposition à l'architecture, masse englobante, et à la peinture, surface étalée et impondérable, elle est englobée, elle est un centre, un certain volume que l'on contourne et embrasse (pénètre) au moins virtuellement. Même les reliefs, hauts et bas, ne se soustraient qu'en partie à ce caractère, et c'est alors, qu'on s'en réjouisse avec Adolf Hildebrand ou qu'on le regrette avec Herbert Read, en glissant à l'effet pictural.

Et cela indique la place de la statuaire dans le système des arts. Elle n'a pas à être la matrice agrandie que demeure l'architecture, enveloppante même quand elle travaille à ciel ouvert. Elle n'a pas non plus à se livrer à toutes les fantaisies des « identifications secondaires » auxquelles se prête la volatilité de la peinture. Et cependant elle ne pratique pas la proximité du corps à lui-même qu'exerce la danse. Chose tangible, alors que la peinture est « chose mentale », chose rencontrée, alors que la danse nous possède, la statue, comme l'objet technique dont elle est la sœur, engage directement la structure de l'organisme.

La délimitation

On peut concevoir l'acte de sculpter comme une spécialisation à l'intérieur de l'acte de fabriquer des outils. Quand un artisan des cavernes fait une masse ou une flèche, il approprie un morceau de nature au circuit d'échanges que fait le corps avec l'environnement. Comme l'a montré André Leroi-Gourhan, cette pratique suppose des actions différées dans la confection de l'outil, dans son adaptation à ses tâches, mais aussi dans les rapports qu'il entretient avec les autres outils, pour former un monde technique, préfigurant le langage, ou le supposant. Mais toutes ces relations ne sont pas purement opératoires. L'artisan y exerce les rythmes fondamentaux de son corps ; il s'y donne aussi une image de ce corps ; bien plus, au contact de l'articulation langagière de l'outil, son corps lui-même se distribue en signes. Les deux aspects, d'opération et d'identification, sont liés. Quand l'artisan accentue le premier, il fait un objet technique ; lorsqu'il retient principalement ou exclusivement le second, il sculpte.

Mais il y a également un sens à concevoir, en retour, la technique comme une extension de l'acte de sculpter, un peu dans l'esprit où Gaston Bachelard disait que la gastronomie a précédé la cuisine. En fait, insiste Jacques Lacan, le corps humain fait problème. Alors que l'animal, souvent adapté dès sa naissance, tient dans un circuit d'actions et de réactions où il est tout entier impliqué, en sorte que, s'il perçoit son corps, il n'a pas besoin d'en avoir à proprement parler une image, l'homme au contraire, demeurant de longs mois dans l'impotence et l'incoordination motrices, est contraint de mettre à profit ses dispositions cérébrales pour en quelque sorte s'anticiper dans l'imaginaire. Et la sculpture, qui n'est pas seulement le brassage ludique d'une matière, ni sa configuration utilitaire, mais justement sa configuration disponible, est une possibilité primordiale pour celui qui taille, perce, modèle, gratte, polit, repique, tourne, éventre, arrache, de se définir, de (re)venir à soi du bout de son geste, grâce à un vis-à-vis auquel il donne des contours généraux et partiels. Conjuguant, comme le dit Read, la vue du corps d'autrui et la kinesthésie du corps propre, la statue veut être d'abord, en un sens plus direct que les autres arts, une image, une ressemblance (sens premier d'[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie, professeur à l'Institut des arts de diffusion, Bruxelles

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Médias

Tête de reine, art africain - crédits : ni Schneebeli,  Bridgeman Images

Tête de reine, art africain

Moore dans son atelier - crédits : Chris Ware/ Hulton Archive/ Getty Images

Moore dans son atelier

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