SCULPTURE L'espace sculptural
L'indépendance
On ne confondra pas cependant les identifications entre sculpture et spectateur, entre sculpture et environnement avec une intimité. Le centre intensifié, en même temps qu'il rayonne, se distancie, se clôt, se dérobe, fascine. « Ce n'est pas psychologique, la solitude, on n'y peut rien. Elle existe dans l'espace. Votre tête, là, maintenant, quand je la regarde qui émerge dans le vide sur ce fond de ciel », dit encore Giacometti à Jean Clay.
C'est pourquoi dans toute sculpture il y a une idole qui sommeille. Plein ou vide, le centre est un dieu, disposant autour de soi la danse sacrée ou la procession. Le veau d'or était une statue, et, dans la querelle des images, c'est la sculpture qui est d'abord et nommément désignée : « Ne te fais pas de chose sculptée, ni de similitude quelconque » (Exode, xx, 4).
Et, du coup, le sculpteur, auteur de tant de prestiges, est à son tour quelque peu divin, sachant que Dieu, dans la Bible, n'a pas fait mieux que « de prendre du limon de la terre, et d'y modeler un être à son image et à sa ressemblance » ; les Amérindiens ajoutent : et de la cuire au four. La peinture est démiurgique ; elle conçoit des mondes et des mises en scène, proche par là du théâtre, qui est l'art non de la parole (l'éloquence), ni du geste (la danse), mais des lieux d'où l'on parle, l'art des instances. La sculpture n'est pas mise en scène, sauf, et encore avec étroitesse, quand elle devient picturale et théâtrale, dans les reliefs des Panathénées, de Borobudur ou des portes du Baptistère de Florence. Plutôt que démiurgique, elle est prométhéenne – Prométhée est l'autre dieu sculpteur de la Grèce –, cherchant à apporter à un corps mort le feu du ciel. « Parle », aurait dit Michel-Ange à son Moïse.
On voudrait donc inscrire l'activité sculpturale dans la satisfaction véhémente de la pulsion de vie, en lutte contre la mort. Mais le Dogon qui sculpte ses masques, l'Égyptien qui dresse ses effigies s'y abandonnent en même temps qu'ils s'y défendent. Cette satisfaction simultanée de la pulsion de vie et de la pulsion de mort, qui apparente une dernière fois la sculpture à la sexualité – et à l'ambiguïté du phallus –, trouve sans doute son commentaire dans la huitième des Élégies de Duino, où Rilke distingue l'animal, qui vit dans ce qu'il appelle l'Ouvert, sans but, sans avenir, donc sans la mort, « voyant Dieu », et l'homme, qui toujours vit pour la mort, parce que « ses yeux se placent autour de la Créature comme des pièges, en cercle autour de sa libre issue ».
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Écrit par
- Henri VAN LIER : docteur en philosophie, professeur à l'Institut des arts de diffusion, Bruxelles
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Médias
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