HEANEY SEAMUS (1939-2013)
Né en 1939 dans une famille de fermiers du comté de Derry en Irlande du Nord, Seamus Heaney appartient à une minorité catholique dans une population en large majorité protestante. Il a été marqué dès l'enfance par un catholicisme qui, dans cette petite communauté rurale, représentait la forme principale de vie sociale. Le paysage, avec ses tourbières encore imprégnées des vestiges de cultes magiques, sera très présent dans sa poésie : « Nous ne nous sentions jamais seuls une seconde dans l'univers. » Grâce à une bourse, il fait ses études à Queen's University à Belfast, où, contrairement à beaucoup d'étudiants de sa génération, il restera très attaché à la culture rurale de son enfance. Il commence à publier des poèmes dès ses années d'université et contribue, avec Derek Mahon et Michael Longley, à l'émergence du groupe des poètes de l'Ulster.
De 1966 à 1972, il enseigne la poésie à Queen's University. Un premier recueil, Eleven Poems (Onze poèmes), est publié en 1965, et l'année suivante Death of a Naturalist (Mort d'un naturaliste) est très bien accueilli et obtient plusieurs prix. Heaney y exprime son attachement profond pour la ferme de son enfance et pour le travail des champs, qui devient une métaphore de son activité de poète, l'inscrivant dans la continuité de ses ancêtres. C'est l'époque où, en Irlande du Nord, le mouvement pour les droits civiques des catholiques s'oppose de plus en plus violemment aux loyalistes protestants. Après les affrontements d'octobre 1968 dans le quartier catholique du Bogside à Londonderry, Heaney écrit un article dans le Listener pour exprimer son indignation.
En 1969, Door into the Dark (La Porte vers l'obscurité) approfondit la méditation sur l'imprégnation culturelle et historique des mots, faisant du paysage un véritable lieu de mémoire. En 1970-1971, Heaney passe un an à l'université de Berkeley, en Californie, et, lorsqu'il revient en Irlande, la situation politique s'est encore détériorée. Wintering Out (1972, Hibernation) fait écho à la crise de l'Ulster tout en cherchant à éviter le double écueil de la poésie engagée et du retrait dans un univers privé. Se livrant à une véritable archéologie de la langue à partir des mutations du territoire, le recueil reprend la tradition irlandaise des dinnsenchas, poèmes ancrés dans la mythologie des lieux. À travers le lien entre étymologie et paysage, c'est tout l'héritage d'une culture anglaise greffée qu'il s'agit de déchiffrer.
En face de la pression grandissante qui le pousse à mettre son art au service de la cause nationaliste, Heaney prend en 1972 la décision de quitter Belfast et d'aller vivre à Dublin, cherchant à « mettre la pratique de la poésie plus résolument au centre de [sa] vie ». Son recueil suivant, North (1975, Nord), affronte directement la crise politique en Irlande du Nord et s'interroge sur la responsabilité du poète. Puisant dans la poésie scandinave, provençale et anglo-saxonne, la première partie du recueil est une méditation sur le passé irlandais et sur la double nature du langage, à la fois instrument de domination et outil de l'activité poétique. Le recueil porte la marque de l'ouvrage de P. V. Glob, Le Peuple des tourbières (1969), dont la lecture fut pour Heaney une véritable révélation. Cette étude de meurtres rituels accomplis dans le Jutland à l'âge du fer était accompagnée de photographies des corps des victimes que la boue des tourbières avait conservés pendant deux mille ans. Heaney rapproche les cadavres ainsi sacrifiés de la situation irlandaise présente dans une série de « poèmes des tourbières ». La seconde partie du volume, plus ancrée dans le présent, explore le conflit d'allégeance du poète et son malaise devant le combat nationaliste.[...]
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Écrit par
- André TOPIA : professeur de littérature anglaise à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média