BRANT SÉBASTIEN (1458-1521)
Humaniste alsacien, principalement célèbre comme auteur de la Nef des fous. Issu d'une modeste famille de Strasbourg, le jeune Sébastien Brant n'en reçoit pas moins une excellente éducation, d'abord à Sélestat puis, à partir de 1475, à la toute nouvelle université de Bâle, au cœur de cette cité qui va devenir le centre de l'humanisme rhénan et, plus tard, un haut lieu de la réforme protestante. Après y avoir accompli d'excellentes « humanités », il se tourne vers le droit : il obtient la licence, puis le doctorat « en l'un et l'autre droit » (droit canon, droit civil) en 1489. Après avoir écrit un ouvrage historico-politique dans lequel il exprime son enthousiasme pour le Saint Empire et son attachement au nouveau monarque, Maximilien, il met sa vaste culture à la disposition des grands imprimeurs bâlois, éditant des manuscrits, corrigeant des épreuves, composant maintes préfaces, en prose ou en vers latins, à des ouvrages érudits. Fort habile dans le maniement de la nobilissima lingua (celle de Rome et de l'Église) adaptée à des poèmes d'inspiration religieuse, politique ou didactique, Brant veut surtout prouver aux « Welches » (appellation tant soit peu péjorative que les intellectuels et artistes germaniques appliquent aux Européens latinisés, italiens surtout et parfois même français) que les humanistes rhénans n'ont rien à envier aux érudits italiens. Ayant subi dans sa jeunesse, comme son compatriote Wimpheling, et tant d'autres esprits de l'Europe du Nord, l'influence de la devotio moderna et de l'Imitation de Jésus-Christ, ayant atteint, au contact du chartreux Johann Heynlin von Stein, à une austère piété, il exprime sa dévotion dans des vers et selon des thèmes qui suivent la voie tracée par les maîtres spirituels du Moyen Âge : culte du Christ souffrant, louanges de la Vierge. Il se montre à la fois très traditionaliste quand il se range dans le camp des partisans de l'Immaculée Conception à l'heure où les « maculistes » mettent violemment ce dogme en question, et suffisamment « moderne » pour dénoncer avec ironie ou colère les moines paillards et ignares, les autorités laïques ou ecclésiastiques défaillantes.
Panégyriste quasi officiel de l'empereur, il souhaite également coopérer avec le pape à la réforme de l'Église et à la lutte contre les Turcs. Pour se rendre accessible au plus grand nombre, il commence à traduire ses propres poèmes et d'autres textes latins en un allemand d'une pureté et d'une netteté remarquables. Il est peu à peu amené à publier de courts pamphlets populaires, des « feuilles volantes » d'un style et d'une forme très journalistiques, exprimant sa philosophie de la vie à l'occasion de tel événement récent. Il approfondit en même temps son art au contact des imprimeurs, des savants, des peintres et des graveurs bâlois. Quand son ancien compagnon d'étude Johann Bergmann von Olpe établit sa propre officine d'imprimerie, c'est chez lui qu'il publie, le jour du carnaval 1494, l'œuvre qui devait lui assurer l'immortalité, la Nef des fous (Narrenschiff).
Même si leur inspiration doit beaucoup à la Bible, aux Pères de l'Église, aux Anciens, au droit canon et à la tradition médiévale et germanique du carnaval, du paysan-fol, des devinettes (ou Rätselspiele), des « contes de menterie » (ou Lügengeschichten) ou autres jeux burlesques, les cent douze chapitres, en vers allemands, de la Nef des fous, qui passent en revue, en les entassant dans un navire en route vers la « Narragonie », toutes les variétés de fous que charrie le monde des humains, constituent un événement. Brant a, en effet, détaché le thème de la folie du spectacle et de l'expression orale : le livre est là, que des milliers de lecteurs, clercs ou[...]
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Écrit par
- Jean-Claude MARGOLIN : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours
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