SECTES ET CATHOLICISME
« Le propre de l'hérésie est le changement ; la foi dans la religion catholique est immuable », écrit V. de Perrodil dans sa Préface aux Mémoires pour servir à l'histoire des égarements de l'esprit humain par rapport à la religion chrétienne de Pluquet, publiés à Paris en 1845 sous le titre de Dictionnaire des hérésies, des erreurs et des schismes. Ainsi se trouve proposée l'image d'un catholicisme qui a pour lui l'éternité et traverse l'histoire d'une marche toujours égale, au milieu des erreurs plus ou moins éphémères suscitées par les passions humaines, « erreurs changeantes, variables, s'éteignant et renaissant de siècle en siècle, d'année en année, de jour en jour ». Autant dire qu'on y voit deux mondes situés sur des plans tout différents...
Spirituellement et socialement stérile, pense-t-on, le schisme n'engendre partout que de nouvelles divisions, puis l'incrédulité causée par la multiplicité des communions diverses aux confessions de foi contradictoires. Les « milliers de sectes s'abhorrent mutuellement, se discréditent et se font une guerre à mort [...] ; un seul sentiment les rapproche entre elles : c'est leur haine commune pour le catholicisme », affirme le prêtre et voyageur chilien Eyzaguirre dans son Catholicisme en présence des sectes dissidentes (trad. franç. 1856). « Le siège de Rome est l'unique anneau qui puisse maintenir les hommes unis dans la foi. »
Une telle approche considère le phénomène de la floraison des sectes comme un problème inhérent aux entreprises schismatiques : d'une certaine manière, il ne concernerait donc qu'indirectement l'Église romaine (nous ne parlons pas ici de l'application par celle-ci du mot « secte » à la franc-maçonnerie et à des sociétés assimilées).
Le Dictionnaire de théologie catholique de Vacant et Mangenot (vol. XIV, 1939) ne contient pas d'entrée « sectes », mais il a, par contre, une copieuse notice « hérésie ». Il est vrai qu'il s'agit de deux mots utilisés à l'origine, respectivement en latin et en grec, pour signifier la même réalité dans le langage ecclésiastique. Peut-être ne faut-il pas chercher d'autre explication. Néanmoins, on doit aussi remarquer que le mot « hérésie » en est venu à évoquer plutôt une doctrine et celui de « secte » un groupe. Dans cette perspective, ne devrait-on pas considérer l'omission comme révélatrice d'une absence de préoccupations à cet égard dans une France où le catholicisme majoritaire ne se sentait guère menacé du fait de la propagande de groupes chrétiens marginaux ? Cela n'exclut pas une information sur des mouvements considérés un peu comme des curiosités religieuses : le Dictionnaire pratique des connaissances religieuses de Bricout offre des renseignements sur les mormons, les adventistes français... ; mais on cherche à nouveau en vain, dans le volume VI (1928), le mot « secte ».
Une lente prise de conscience
Nous ferions pourtant erreur en tenant le cas français pour généralisable. Au xixe siècle, en effet, les activités missionnaires des « nouvelles sectes » de l'époque s'étaient principalement dirigées vers les populations ou régions protestantes, jugées mieux préparées (par la lecture de la Bible) à accepter les lumières proposées. Ainsi, les vaudois du Piémont, auxquels leur histoire hors du commun conférait un statut quelque peu mythique, virent arriver plus d'un propagandiste brûlant du désir d'éclairer ce « petit reste fidèle » !
Les encyclopédies théologiques catholiques d'Allemagne révèlent une attention plus précoce et mieux structurée qu'en France pour le phénomène des sectes. On trouve ainsi le mot « secte » en 1899 dans le Kirchenlexikon (vol. XI) — sans parler de notices substantielles[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-François MAYER : historien.
Classification