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SECTES

Les sectes et leur rapport au monde

Comme on vient de le lire, de nombreuses tentatives pour classer les mouvements religieux minoritaires ont été réalisées, tant par le discours savant que par le discours militant. Le classement courant mais superficiel a consisté à prendre en considération la doctrine du mouvement pour la rapporter à une tradition d'origine. En vertu de cette filiation historique, on pourra ainsi distinguer des sectes d'origine chrétienne, juive ou musulmane, des sectes orientales (bouddhistes, hindouistes, shintoïstes), des sectes se rattachant à la tradition occultiste ou ésotérique occidentale, des sectes qui inventent de nouvelles gnoses à partir d'un modèle emprunté à la psychologie contemporaine, enfin des sectes opérant les syncrétismes les plus variés. Une telle répartition ne présente qu'un intérêt limité, car elle laisse dans l'ombre les caractéristiques de structure interne ou le mode de relation à l'environnement des différentes sectes.

Bien qu'aucune typologie ne fasse l'unanimité en sociologie des religions, l'une des plus répandues consiste à ordonner les sectes selon un axe allant du refus du monde à son acceptation. Le recours à ce critère se fonde sur la tradition sociologique qui a conceptualisé la secte comme une forme de religion structurellement en tension avec la société globale, avec l'État, avec les Églises établies (lesquelles apparaissent à certaines époques comme l'un des piliers de la société). Alors que la religion de type Église a passé un compromis avec la société et ses valeurs, la secte remet en question le modus vivendi en cours en proclamant des valeurs autres, en se dotant de modes d'organisation récusés par la société, en exigeant de ses adeptes qu'ils fassent un choix en rupture avec ce qui est conventionnellement admis dans le monde.

La vision sociologique classique de la secte l'associe donc à un potentiel de rupture avec l'ordre social. Cependant, ce rejet du monde peut se manifester sous des formes et avec des intensités extrêmement variées : il peut prendre la forme d'un conflit ouvert au sein des sectes révolutionnaires apocalyptiques qui se prétendent l'instrument d'un renouvellement du monde ; il peut également se traduire par la création de communautés religieuses composées d'aspirants à la perfection qui veulent actualiser à une échelle réduite l'utopie d'un monde délivré du péché ; le refus du monde peut se manifester, plus fréquemment encore, sous une forme intériorisée dans les sectes piétistes qui appellent à la conversion du cœur sans exiger de leurs membres une rupture physique avec la vie en société. Les sectes qui rejettent le monde (qu'elles se retranchent physiquement de la société ou non) symbolisent habituellement leur refus par quelque signe distinctif : ce peut être le port d'un vêtement particulier comme dans le cas des amish du Nouveau Monde, ce peut être le refus d'une pratique (la transfusion sanguine chez les Témoins de Jéhovah, par exemple). Souvent, le rejet du monde se cristallise en refus de reconnaître la légitimité de la puissance étatique et se manifeste par l'abstention vis-à-vis de pratiques jugées idolâtriques telles que la prestation de serment, l'hommage au drapeau, l'accomplissement du service militaire, etc.

À l'inverse, certaines sectes, notamment à l'époque actuelle, témoignent d'une volonté d'acceptation globale du monde : loin de vouloir retrancher leurs membres de la société, elles prétendent mieux les y insérer en leur donnant les outils religieux pour s'affirmer en tant qu'individus capables de se réaliser pleinement dans la vie mondaine. Ces mouvements au discours ouvertement individualiste ont un caractère plus éloigné de l'image conventionnelle de ce qu'est une religion que les sectes qui récusent[...]

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Écrit par

  • : enseignant à l'université de Paris XII-Créteil-Val-de-Marne, membre du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité
  • : docteur ès lettres et sciences humaines, maître de recherche au C.N.R.S., chargé de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales

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Ron Hubbard - crédits : Chris Ware/ Hulton Archive/ Getty Images

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