SECTES
Les déplacements des controverses autour des sectes
L'évolution constatée des sectes s'accompagne d'un déplacement des controverses à leur sujet. Il faut souligner aussi que les acteurs et les enjeux ne sont plus du tout les mêmes que dans la période des années 1950.
Tout d'abord, la polémique ne se situe plus essentiellement dans le camp des Églises officielles. Leurs représentants adoptent un ton mesuré à propos du phénomène des sectes, préférant souligner le besoin spirituel qu'elles révéleraient, plutôt que d'en dénoncer l'existence même – certaines attaques pouvant en effet se retourner contre des mouvements apparus au sein même de ces Églises. Le discours virulent contre les sectes n'émane plus que de courants intégristes qui voient en elles des tentatives de subversion de l'« Occident chrétien », voire le prélude à l'arrivée de l'Antéchrist, ou bien parfois de courants chrétiens de gauche qui n'hésitent pas à critiquer le fonctionnement de certains mouvements d'Église tels que l'Opus Dei en les assimilant aux sectes du dehors en raison d'analogies dans l'organisation interne et le mode d'exercice du pouvoir.
Le discours antisectes provient aujourd'hui essentiellement de militants laïcs secondés par des praticiens, notamment dans le domaine psychiatrique. Il est largement relayé par les médias. Une littérature prolixe a fleuri, enrichie de témoignages d'anciens adeptes ou d'enquêtes dénonciatrices menées par des journalistes spécialisés qui travaillent souvent en lien étroit avec les associations antisectes apparues au milieu des années 1970, l'une autour de la défense de la famille et de l'individu, l'autre qui s'attache, dans une optique plus classiquement rationaliste, à repérer et à dénoncer les « manipulations mentales » dont les membres des sectes seraient l'objet. Un certains nombre de procès ont eu lieu, notamment autour de la garde d'enfants pour laquelle les familles se déchirent et, de leur côté, plusieurs sectes se sont lancées dans des démarches judiciaires répétées pour défendre leur réputation et leurs méthodes. En France, certains parlementaires sensibles à la lutte contre les sectes ont rédigé un premier rapport officiel en 1983 (rapport Vivien), suivi treize ans plus tard d'un second (rapport Gest-Guyard, 1996) qui, sans préconiser l'adoption d'une législation spécifique aux sectes, recommande une utilisation renforcée de l'arsenal juridique existant pour contrôler les atteintes au droit des personnes ou au droit fiscal émanant de groupes qualifiés de sectes. Ces préoccupations se retrouvent dans de nombreux pays d’Europe et ont gagné les organisations internationales. La France a finalement adopté le 12 juin 2001 une loi tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires.
Sur le fond, la polémique affirme délaisser les contenus de croyance pour s’en prendre seulement aux structures sociales et aux conditionnements psychologiques pratiqués dans les sectes. La lutte contre les sectes quitte le terrain de la théologie pour celui de la psychiatrie ou de la psychopathologie. Du coup, le caractère religieux n'est plus nécessairement présent dans la définition de la secte : ainsi, la littérature des mouvements antisectes parle indifféremment de sectes religieuses, politiques, commerciales (les sociétés de vente pyramidale) ou psychothérapeutiques.
Les accusations contre les sectes ne renvoient plus guère à une menace qu'elles feraient peser sur la société globale et sa cohésion ; aujourd'hui, le discours social contre la secte l'identifie avant tout comme un danger pour l'individu, une structure susceptible d'attenter au libre-arbitre, voire de réaliser une destruction de la personnalité du fait de la « déstabilisation psychologique[...]
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Écrit par
- Louis HOURMANT : enseignant à l'université de Paris XII-Créteil-Val-de-Marne, membre du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité
- Jean SÉGUY : docteur ès lettres et sciences humaines, maître de recherche au C.N.R.S., chargé de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales
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