SECTES
Les sectes comme phénomène social
Dans le monde anglo-saxon, la recherche sur les sectes et les nouveaux mouvements religieux a donné lieu à une multitude de travaux, de nature psychologique ou sociologique en particulier. En France, les données établies restent beaucoup plus lacunaires en comparaison. Toutefois, plusieurs résultats apparaissent aujourd'hui étayés quand bien même l'interprétation générale à conférer au phénomène de la multiplication des sectes reste matière à large débat.
Au cours des années 1970, il était fréquent d'assimiler les sectes à des mouvements de jeunes, au point que, dans certains pays, on les qualifiait de « religions de jeunes ». On avait alors l'idée que les sectes, en particulier celles qui proposaient un mode de vie communautaire, étaient uniquement composées de jeunes à peine sortis de l'adolescence et supposés aussi idéalistes que malléables. La secte communautaire apparaissait à certains égards comme un sas de transition vers la vie adulte au sein d'une grande famille de substitution. Aujourd'hui, on estime que l'âge moyen d'entrée dans un groupe religieux minoritaire est nettement plus élevé (34-35 ans) et que nombre de membres s'avèrent d'âge tout à fait mûr. Ce fait résulte autant d'une meilleure connaissance du terrain que de l'évolution interne des groupes dans une conjoncture historique nouvelle.
Il en va de même en ce qui concerne le recrutement social, qui semble beaucoup plus diversifié qu'on ne l'imaginait précédemment. L'opinion ancienne, selon laquelle les personnes susceptibles d'être recrutées par les sectes étaient des marginaux ou des personnes en fragilité sociale s'est révélée très abusive : de fait, nombre d'adeptes de sectes (y compris celles qui ont sombré dans une folie meurtrière comme l'Ordre du temple solaire) sont des individus socialement favorisés et dotés d'une parfaite respectabilité sociale. Face à ce fait, il n'est plus possible de rapporter mécaniquement l'adhésion à une religion de type sectaire à un phénomène de protestation sociale : certes, aux époques où le refus de la société ne pouvait s'exprimer que sous une forme religieuse, l'émergence des sectes pouvait fréquemment être analysée en termes de protestation contre l'ordre social établi de couches socialement ou culturellement défavorisées. Même si l'on introduit l'idée que, plus que la privation brute elle-même, c'est la possibilité de comparer sa situation à celle d'autrui qui engendre frustration sociale et – éventuellement – protestation religieuse, il faut tenir compte de tous les cas, nombreux, où les mouvements sectaires ont été plutôt le fait de nantis ou de gens dotés d'un capital culturel élevé qui les prédisposait théoriquement à assumer des situations enviables dans la société.
À côté de l'interprétation en termes de protestation sociale, il est un schéma courant qui explique la multiplication des sectes par une recherche nouvelle de sens, par un renouveau du besoin religieux qui serait également perceptible dans les mouvements de renouveau internes aux Églises. Une telle explication fait peu de cas de la diversité des aspirations rencontrées dans les mouvements : peut-on penser, par exemple, que l'émergence d'une secte apocalyptique puisse être analysée de la même façon que le développement des self-religions qui mettent en avant l'exploration de la conscience ? L'émiettement du croire qui accompagne le développement des nouveaux mouvements religieux peut suggérer la thèse, non d'un retour du religieux dans la société contemporaine, mais d'un nouveau déclin de sa pertinence sociale du fait de son incapacité à dépasser le seuil des micro-univers de croyances.
Il est également[...]
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Écrit par
- Louis HOURMANT : enseignant à l'université de Paris XII-Créteil-Val-de-Marne, membre du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité
- Jean SÉGUY : docteur ès lettres et sciences humaines, maître de recherche au C.N.R.S., chargé de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales
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