SEGMENTATION, psycholinguistique
Dans la parole, deux énoncés peuvent être très similaires du point de vue de leur forme sonore mais pourtant très différents du point de vue de leur interprétation. Ainsi, « lundi commence la semaine » et « l’un dit : comment cela se mène ? » sont deux énoncés quasi homophones que nous sommes cependant capables de comprendre sans ambiguïté, souvent grâce au contexte phrastique, mais également grâce à notre capacité à segmenter le signal de parole en unités linguistiques de tailles différentes. La segmentation est le processus par lequel nous déterminons où commencent et où se terminent ces unités. Ce processus opère au moins à trois niveaux. Au niveau infralexical, segmenter implique de localiser les frontières d’unités linguistiques de bas niveau telles que les syllabes ou les phonèmes. L’auditeur serait alors capable d’identifier les syllabes contenues dans la séquence de parole susmentionnée. La représentation infralexicale résultant de ce découpage est comparée aux représentations lexicales stockées en mémoire qui peuvent lui être associées. Au niveau lexical, segmenter implique donc de localiser les frontières de chacun des mots dans la chaîne de parole. Dans notre exemple, l’auditeur serait alors capable de choisir l’interprétation combinant 4 ou 6 mots. Enfin, au niveau supralexical, segmenter implique d’identifier les frontières d’unités linguistiques plus larges telles que les groupes syntaxiques, sémantiques et/ou prosodiques à l’intérieur desquels les mots prennent sens. L’auditeur serait alors capable d’attribuer la fonction sujet à « l’un » ou à « lundi » selon la structure syntaxique et prosodique visée par le locuteur.
Compte tenu de l’importance de l’identification des mots dans la compréhension du langage, la segmentation lexicale a reçu une attention particulière en psycholinguistique. Ce processus a été principalement étudié par l’exploration de l’identification de mots connus et de l’apprentissage de nouveaux mots. Dans le premier cas, l’auditeur identifie les frontières de mots et les utilise comme points à partir desquels l’entrée sensorielle est mise en relation avec les représentations lexicales stockées en mémoire. Dans l’apprentissage de mots nouveaux, l’apprenant (enfant ou adulte) localise les frontières potentielles d’unités qui seront stockées dans le lexique mental.
La nature même de la parole complique la segmentation. Par exemple, dans les cas d’enchâssement, – lorsqu’un mot inclut d’autres mots plus courts comme « l’un » et « dit » dans « lundi » –, l’auditeur devra déterminer si la chaîne est constituée de deux mots ou s’il s’agit d’un mot unique. Ne disposant d’aucune information aussi claire et systématique que les espaces entre les mots à l’écrit, l’auditeur doit s’appuyer sur différentes sources d’information, lexicales et sous-lexicales. De nombreuses études ont suggéré que la segmentation résultait de la connaissance lexicale. Comme certains mots peuvent être identifiés avant la fin effective de leur prononciation, l’auditeur pourrait inférer la frontière finale du mot produit et la frontière initiale du mot suivant. Toutefois, cette information lexicale n’est pas suffisante. Comment expliquer que les ambiguïtés telles que « commence la » et « comment cela » ne suscitent pas davantage d’erreurs d’interprétation ?
Outre l’information lexicale, des régularités sous-lexicales, la plupart du temps spécifiques à la langue, seraient dérivées des structures phonologique, phonétique et prosodique de la parole et constitueraient des indices utiles à la localisation de frontières. L’humain serait doté de capacités permettant de calculer et d’utiliser des probabilités transitionnelles (PT) entre deux unités linguistiques (entre syllabes ou phonèmes) afin de prédire la probabilité[...]
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Écrit par
- Odile BAGOU : docteure en psychologie, maître-assistante de recherche
- Ulrich FRAUENFELDER : professeur
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