LAGERLÖF SELMA (1858-1940)
Première femme à avoir obtenu le prix Nobel en 1909, étroitement accordée à son temps, à son pays – la Suède – et à sa province, prodigieuse conteuse, Selma Lagerlöf a développé, tout au long d'une œuvre riche et diverse, une réflexion souvent subtile sur de grands problèmes dont on découvre qu'ils s'adaptent remarquablement à la problématique de notre modernisme.
« L'Histoire de Gösta Berling »
Il faut prendre garde à une image, qui conclut L'Histoire de Gösta Berling, le livre dont découle toute l'œuvre ; il y est question des « abeilles de l'imagination » qui ne parviennent pas à entrer dans la « ruche de la réalité ». Voilà qui situe exactement une inspiration qui aura sans cesse hésité entre merveilleux, fantastique, surnaturel invisibles, et constats du rationnel appliqué. Ajoutons-y la première phrase d'Histoire d'une histoire, qui retrace la genèse du livre évoqué plus haut : « Il y avait une fois une histoire qui voulait (som ville, c'est moi qui souligne) être racontée. » Ainsi, nous tenons les deux clefs d'une œuvre particulièrement attachante.
Selma Lagerlöf est née au manoir de Mårbacka, paroisse d'Östra Ämtervik, dans le Värmland, haut en couleur et riche de traditions, qui fut une zone de passage et de confluences des siècles durant. Elle confessera un jour que le cerveau de son enfance « était empli à déborder de fantômes et d'amours sauvages, de dames merveilleusement belles et de cavaliers épris d'aventures ». Le milieu où elle vécut était un peu aristocratique, à l'échelle du pays, et bien protestant. Mais son père, ruiné, devra vendre le domaine familial – et ce sera toute l'ambition, couronnée de succès, de Selma que de parvenir un jour à le racheter, à l'habiter. De plus, la petite Selma, paralysée temporairement d'une jambe, souffrait d'une malformation de la hanche qui la faisait boiter bas. Cela lui vaudra de rester toujours un peu à l'écart, de beaucoup observer et écouter. Il n'est pas exclu qu'elle ait entendu l'écriture comme une évasion et une compensation.
Selma Lagerlöf entre à l'école normale de Stockholm et prend, pour dix ans (1885-1895), ses fonctions d'institutrice à l'école élémentaire de filles de Landskrona. C'est probablement là qu'elle aura mis au point cet art de raconter en maintenant constamment en éveil l'intérêt de son auditoire. En 1890, elle envoie à la revue Idun, qui organisait un concours littéraire, un morceau qui lui vaudra le premier prix : il s'agissait d'un premier jet de ce qui sera L'Histoire de Gösta Berling (Gösta Berlings saga, 1891) dont le succès fut immédiat. Elle y racontait les heurs et malheurs d'une bande de « cavaliers », des bohèmes fantasques gravitant, en Värmland, au manoir d'Ekeby, autour de la « commandante », personnage autoritaire et se livrant aux pires frasques. Parmi eux se trouve un pasteur défroqué, Gösta Berling, petit Faust local qui a conclu un pacte avec le diable pour séduire toutes les jolies filles. Romantique par bien des côtés, l'histoire ne laisse pas de nous offrir d'inquiétants personnages, tels le forgeron Sintram ou la Commandante, qui finira par être exclue de la bande. Du coup, les cavaliers rentrent dans le rang et reviennent au sentiment du devoir et du travail. Derrière des thèmes byroniens (culte du génie et du beau, mépris du quotidien), on sent monter un pathétique social accordé aux préoccupations littéraires de l'heure en Suède, tandis que s'impose, comme une basse continue, l'amour du petit peuple féru de belles histoires. L'ouvrage valait surtout par son style résolument neuf, à mi-chemin entre la rhétorique en usage à l'époque et la conversation courante, qui force le lecteur à la connivence, avec de belles échappées lyriques en prose bien rythmée. La critique[...]
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Écrit par
- Régis BOYER : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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