SÉMANTIQUE
Au-delà des mots
Lexique et syntaxe
Il n'est pas toujours aisé de délimiter les domaines respectifs de ces deux composantes. D'abord à cause de l'existence d'unités qui, tout en étant de dimension supérieure au mot, sont dans une certaine mesure « lexicalisées » : syntagmes figés (ou « lexies » : « chemin de fer » et « chemin de terre », « pomme de terre », « pomme d'api », « pomme d'Adam »...), mais aussi locutions et proverbes ; ensuite, parce que les unités syntaxiques – morphèmes grammaticaux, parties du discours, catégories, fonctions et relations grammaticales – sont elles aussi sémantisées, même si leur sens se laisse plus difficilement définir que celui des unités lexicales. Le sens d'une phrase apparaît donc comme la résultante du sens de sa construction syntaxique et de son matériel lexical, et ne peut être décrit qu'au sein d'un « modèle global » des unités phrastiques.
La sémantique de la phrase
Ajoutons d'abord aux considérations précédentes sur l'analyse sémique qu'elle n'est pas toujours indifférente aux aspects combinatoires du sens lexical. C'est ainsi que Greimas ou Pottier admettent dans le sémème des traits particuliers, dits « classèmes », ayant pour fonction d'assurer, pour les mots polysémiques, la sélection d'un sens compatible avec le « cotexte » (leur environnement linguistique immédiat) et, du même coup, la cohésion du syntagme ou de la phrase ; proposition qui reste toutefois limitée, car elle ne s'intègre pas dans un modèle global de la phrase.
On pourrait aussi mentionner le modèle distributionnel, mais il n'est pas lui non plus « global », car se sont développées sous cette étiquette deux théories bien distinctes, l'une de nature exclusivement syntaxique (Z. Harris), et l'autre de nature purement lexicale (J. Apresjan) : il s'agit dans cette dernière perspective de ramener le sens des morphèmes et des mots à leur « distribution » (ensemble des environnements linguistiques de l'unité), estimée susceptible d'être appréhendée de façon plus « objective » que le sens lui-même, en postulant l'existence entre sens et distribution d'une relation de correspondance biunivoque. Ainsi, Apresjan montre que le paradigme des adjectifs susceptibles de se substituer à good dans la structure : « X animé + to be + adj. + at + Y inanimé », est sémantiquement homogène. Mais il n'en est malheureusement pas toujours ainsi : la communauté de distribution n'est une condition ni suffisante, ni nécessaire (par exemple, « se rappeler quelque chose » vs « se souvenir de quelque chose ») à la parenté sémantique. L'approche distributionnelle permet des observations intéressantes sur le comportement syntagmatique des unités lexicales, mais on ne saurait assimiler sens et distribution.
Enfin, s'il est un modèle qui se veut « global » (ou « intégré »), c'est bien évidemment la grammaire générative.
En 1963, Katz et Fodor se chargent d'expliciter les mécanismes de la composante sémantique du modèle défini par Chomsky à l'aide de « restrictions sélectives » dont sont marqués les items lexicaux et de « règles de projection » qui amalgament successivement deux à deux, compte tenu de leur relation syntaxique, les contenus de ces items. La démarche s'apparente à celle de l'analyse componentielle (puisque les contenus lexicaux sont décomposés en traits), mais son originalité et son succès d'alors tiennent au fait que l'analyse est incorporée à un modèle global de la phrase, qui lui impose ses propres contraintes : elle doit user d'un appareil descriptif adéquat, et formalisé (formalisation qui du reste dissimule mal le caractère « bricolé », et négligemment ad hoc, des échantillons d'analyse proposés par Katz et Fodor).[...]
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Écrit par
- Catherine KERBRAT-ORECCHIONI : agrégée, docteur d'État, professeur de linguistique à l'université de Lyon-II
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