SÈME, linguistique
Vers une description des univers sémantiques
Sur ces bases, un certain nombre de distinctions plus fines ont été proposées. Ainsi Bernard Pottier (Linguistique générale : théorie et description, 1974) distingue-t-il, à l'intérieur même du sémème, trois grands ensembles de sèmes, appelés respectivement « sémantème », « classème » et « virtuème ». Le sémantème est l'ensemble des sèmes dénotatifs, reconnus de façon stable par la quasi-totalité des locuteurs de la langue, et spécifiques, c'est-à-dire qui permettent de distinguer deux sémèmes voisins ; par exemple « biréacteur » comporte dans son sémantème le sème « deux » et « triréacteur » le sème « trois ». Le classème est l'ensemble des sèmes dénotatifs génériques, qui indiquent donc l'appartenance à une catégorie générale ; par exemple « biréacteur » et « triréacteur » comportent tous deux dans leur classème le sème « matériel ». Enfin le virtuème est l'ensemble des sèmes connotatifs, caractérisant de façon instable, variable selon les locuteurs et la situation du discours, un aspect de la signification du mot ; ainsi « autobus » comporte-t-il dans son virtuème le sème « être secoué », de même que « rouge » comporte « danger ».
De son côté, Algirdas Greimas propose dans sa Sémantique structurale (1966) une théorie sémiologique qui, prenant appui sur l'analyse sémique, s'ouvre ensuite sur une analyse textuelle où la notion d'isotopie joue un rôle central.
La sémantique componentielle permet de traiter divers cas de figure sémantiques, en particulier de distinguer différents types d'ambiguïté lexicale. L'homonymie peut être caractérisée par des spécifications sémantiques mettant en jeu des traits génériques ; exemple : « avocat » /humain / par opposition à « avocat » /végétal /. La polysémie de sens peut être définie en termes d'un noyau sémique commun accompagné de traits différentiels ; exemple : rayon = /ligne / + /qui part d'un centre lumineux / ou /ligne / + /qui relie le centre d'un cercle à un point quelconque de la circonférence /. La polysémie d'acceptions, plus subtile à décrire, peut également être appréhendée dans la perspective sémique ; ainsi le passage du sens « soixantième partie d'une heure » de « minute » à celui de « court espace de temps » peut se décrire, au sein du sémème, comme une extension de sens résultant d'un effacement de sèmes spécifiques (en l'occurrence, /égal à la soixantième partie de l'heure /) et de la conservation de l'archisémème /espace de temps / et du virtuème /court /. Dans ce domaine, on lira les travaux de Robert Martin (Pour une logique du sens, 1983) et de François Rastier (Sémantique interprétative, 1987).
Si l'analyse sémique est restée inscrite, pour l'essentiel, dans une certaine tradition européenne d'inspiration structuraliste, en revanche l'idée de rechercher des traits sémantiques sous-jacents aux morphèmes de la langue se retrouve chez de nombreux linguistes. Ainsi, dans la perspective de la grammaire générative, cette idée a-t-elle été avancée par Chomsky dès 1965 (Aspects de la théorie syntaxique), sur la base d'arguments syntaxiques : le comportement syntaxique de certains morphèmes nécessiterait qu'on leur associe certains traits sémantiques – inhérents ou contextuels, selon les cas ; par exemple [+ humain] pour le morphème « professeur » ou pour tout morphème fonctionnant comme le sujet du verbe « bavarder ». Par ailleurs, au niveau du composant sémantique de la grammaire générative, conçue comme devant interpréter les informations fournies par la syntaxe, Jerrold Katz et Jerry Fodor ont proposé, dans les années 1960, de calculer la combinatoire sémantique à l'aide[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Catherine FUCHS : directrice de recherche émérite au CNRS
Classification
Autres références
-
GREIMAS ALJIRDAS-JULIEN (1917-1992)
- Écrit par François RASTIER
- 683 mots
Né en 1917 à Tula de parents lituaniens, Algirdas-Julien Greimas fit des études de linguistique et de philologie à Grenoble (1936-1939). L'annexion de la Lituanie par l'U.R.S.S., en 1944, et la déportation de ses parents le contraignirent à l'émigration. À la Sorbonne, il commence, en 1945,...
-
HJELMSLEV LOUIS TROLLE (1899-1965)
- Écrit par Louis-Jean CALVET
- 696 mots
- 1 média
Linguiste danois, animateur du cercle linguistique de Copenhague, Louis Hjelmslev se situe dans la perspective structurale issue de l'enseignement de Ferdinand de Saussure. Sa théorie « glossématique » constitue un approfondissement et une tentative de formalisation de la plupart des...
-
LINGUISTIQUE - Domaines
- Écrit par Catherine FUCHS
- 6 202 mots
- 2 médias
...L'approche structuraliste, reprenant la notion saussurienne de valeur, a proposé de décomposer la signification des unités en traits distinctifs appelés sèmes, et de regrouper les unités en champs lexicaux en fonction des sèmes qui leur sont communs : c'est ce que l'on appelle l'analyse componentielle... -
RASTIER FRANÇOIS (1945- )
- Écrit par Loïc DEPECKER
- 939 mots
François Rastier s'est montré l'un des esprits les plus inventifs dans le domaine des sciences du langage. Né à Toulouse en 1945, docteur en linguistique, directeur de recherche au C.N.R.S., son œuvre est aujourd'hui reconnue internationalement. Elle est fondée sur une audace et une originalité....
- Afficher les 7 références