SÉNAT (France)
La légitimité de la composition du Sénat
L'idée même d'introduire une seconde chambre chargée de « représenter les collectivités territoriales » (à la manière, donc, d'un État fédéral), dans un État unitaire comme la France, ne va pas de soi. On peut estimer que l'expression, consacrée à l'art. 24 de la Constitution, permet surtout de justifier l'utilisation d'un suffrage à deux degrés pour l'élection d'une des deux chambres du Parlement – les sénateurs étant en effet désignés par un collège électoral composé d'élus (certains diraient : « de notables »). C'est surtout ce mode de désignation qui concentre les critiques, d'une part, parce qu'il conduit à de fortes disparités géographiques du point de vue de la représentation, et, d'autre part, parce qu'il conduit à un certain monolithisme politique.
Disparités géographiques dans la composition du Sénat
Le Sénat est aujourd'hui composé de 348 sénateurs, élus chacun pour six ans (l'assemblée se renouvelant par moitié tous les trois ans), dans le cadre du département, par un collège électoral composé par : les députés du département, ses conseillers généraux, quelques conseillers régionaux désignés par le Conseil régional pour ce département, mais surtout, à plus de 95 p. 100, par des délégués des conseils municipaux des communes de ce dernier. Conclusion : ce sont moins les « collectivités » qui sont représentées par le Sénat, que les communes. La Constitution de 1958 est donc à cet égard restée fidèle à la tradition initiée par les constituants de 1875, qui avaient fait de cette seconde chambre un « grand conseil des communes de France » – pour reprendre l'expression, teintée d'ironie, de Léon Gambetta.
Mais tel n'est pas le seul problème que soulève la composition de ce collège électoral. Le nombre de délégués municipaux désignés par une commune pour participer à l'élection des sénateurs dépend évidemment de sa taille : les plus petites ne désignent qu'un délégué (au sein du conseil municipal), tandis que, dans les plus grandes, ce sont non seulement tous les membres du conseil municipal, mais aussi des délégués supplémentaires élus par ce dernier qui intègrent le collège électoral. Cependant, la proportionnalité est loin d'être respectée, et l'on estime qu'un même délégué municipal peut « représenter » de cent à mille habitants, selon la taille de la commune qui l'a désigné – soit un rapport de un à dix. Le gouvernement de Lionel Jospin avait bien tenté, par une loi du 10 juillet 2000, de réduire cet écart, mais le Conseil constitutionnel s'y est opposé.
Concrètement, il résulte de ce statu quo que les petites communes sont proportionnellement mieux représentées que les grandes agglomérations : le monde rural est donc favorisé par rapport au monde urbain. Le premier étant traditionnellement plus conservateur que le second, cette surreprésentation explique l'homogénéité politique qui caractérise le Sénat.
Monolithisme politique du Sénat
Le conservatisme du Sénat est proverbial, au point qu'il est longtemps apparu inimaginable qu'une alternance se produise en son sein. Or cette situation pouvait paraître choquante au regard des principes démocratiques.
Le problème, réel, n'est sans doute pas résolu simplement parce que l'improbable est finalement advenu, avec le basculement à gauche du Sénat après le renouvellement partiel du 25 septembre 2011 (le Sénat est cependant repassé à droite en 2014). Cet événement est en effet le produit d'une conjonction improbable de facteurs : une succession inédite de victoires de la gauche lors de toutes les élections locales précédentes (sous la présidence de Nicolas Sarkozy), une impopularité considérable du gouvernement de droite au moment[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Arnaud LE PILLOUER : professeur de droit public à l'université Paris-Nanterre
Classification
Médias