SENNEP JEHAN PENNÈS dit (1894-1982)
Le dernier des caricaturistes traditionnels a été Jehan Pennès, dit Sennep. Il commence son activité de dessinateur de presse au lendemain de la Première Guerre mondiale, sous l'influence de H.-P. Gassier, caricaturiste du Canard enchaîné. Grâce à ce dernier, il se constitue un style unique. Au trait tout en rondeurs de son inspirateur, il va opposer un dessin d'une grande nervosité, qui ressemble à un fil de métal tordu avec une grande dextérité. Et ce trait se suffit souvent à lui-même, son auteur faisant la plupart du temps l'économie des aplats noirs. Ses personnages, traités avec un grand sens de la ressemblance, sont petits, fréquemment réduits à l'état de nabots. Ce qui faisait l'essentiel de l'art de ses prédécesseurs — la mise en relief des défauts physiques — n'intéresse pas Sennep qui s'attaque avant tout à l'intégrité morale de l'individu. Ses modèles sont remis en question de la tête au pied. D'ailleurs, Sennep est un partisan et ne s'en cache pas. Il est, à n'en pas douter, un antiparlementariste qui traite les députés comme les pièces d'un jeu de massacre. Dans Cartel et compagnie, il propose un annuaire des députés — ceux de gauche, en particulier — à l'aide de fiches signalétiques, sommaires comme des exécutions, en utilisant, comme dans les guides, des symboles pour préciser l'appartenance de tel ou tel à la franc-maçonnerie, la possession d'un ou de plusieurs châteaux, le montant de la fortune, l'aisance matérielle devenant une tare d'autant plus grave que l'élu siège à gauche. Léon Blum et Aristide Briand sont ses cibles favorites (Grandeurs et Misères d'une conférence, no spéc. de Candide, 1930). À travers le premier, il vise le cartel des gauches puis le Front populaire, et, à travers le second, les conférences internationales et le pacifisme.
En 1931 et en 1932, il collabore régulièrement au Coup de patte dirigé par le chansonnier Martini, aux côtés de Poulbot, Bib, Raoul Guérin et Alain Saint-Ogan. Il réalise la plupart des couvertures et la totalité de la double page centrale de cette publication qui ne cache pas, à l'occasion de la parution de certains textes, son caractère antisémite.
Sennep collabore régulièrement au Rire, pour lequel il réalise des numéros spéciaux : l'un tiré sur « du papier de boucherie », À l'abattoir ; l'autre sur papier de registre comptable, Le Livre de comptes de Stavisky (1934). Un autre numéro, Les Chefs-d'œuvre politiques (1938), emprunte ses compositions aux œuvres picturales du passé, ce qui permet de savoureux contrastes : Herriot est La Joconde, Mussolini l'Olympia, la servante noire symbolisant l'Abyssinie... En 1941, Sennep se rallie à la France libre.
Après la Seconde Guerre mondiale, il deviendra le dessinateur attitré du Figaro, jusqu'à son départ à la retraite en 1967 et son remplacement par Jacques Faizant. Tout au long de sa carrière de dessinateur politique, il a toujours fait preuve d'une grande invention, comme dessinateur et comme auteur de légendes — sur ce dernier point, il rejoint l'efficacité d'un Forain.
En revanche, lorsqu'il sortira de l'univers parlementaire, son invention en souffrira et trahira ce qui est souvent le point faible des caricaturistes les plus virulents : la banalité des convictions. Ses attaques contre l'art abstrait (Satirix), par exemple, sont peu inventives. Sennep fut avant tout un polémiste virulent. C'est finalement chez ses adversaires politiques que l'on retrouvera l'esprit vindicatif dont il a fait preuve toute sa vie : ainsi Siné et Reiser — toutes valeurs étant inversées — expriment la même vision manichéenne de la vie en société.
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Écrit par
- Marc THIVOLET : écrivain
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CARICATURE
- Écrit par Marc THIVOLET
- 8 333 mots
- 8 médias
...l'affaire Stavisky, le Front populaire, les Croix de feu permirent aux caricaturistes de mener leurs ultimes combats. H. P. Gassier, pour la gauche, et Sennep, pour la droite, furent les derniers caricaturistes au sens étroit du mot. Le Canard enchaîné publiait les œuvres du premier. Le second trouvait...