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SENS (notions de base)

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La notion de « sens » recouvre deux registres dont la question est de savoir s’ils sont inséparablement liés ou s’ils peuvent être disjoints. Le sens, en effet, c’est à la fois la direction (« sens interdit ») et la signification (« ce que tu dis n’a aucun sens »). Peut-il y avoir signification sans qu’il y ait direction, orientation ? Et toute orientation est-elle nécessairement signifiante ?

C’est évidemment sur le plan du langage que la question de ces deux registres a commencé à se poser. Nos phrases ont-elles du sens parce qu’elles sont intentionnelles, parce qu’elles tendent à produire un effet sur le récepteur ? Ou bien ont-elles du sens par elles-mêmes, en fonction de la réalité qu’elles désignent, un sens qui ne dépend pas de celui qui les reçoit, et qui suppose un au-delà de la communication ?

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La connaissance du vivant constitue un autre domaine au sujet duquel la notion de « sens » a suscité un très vif débat. Peut-on étudier la vie comme on étudie la matière, sans jamais se poser la question de savoir si le vivant est doté d’une intention ? Ou bien faut-il admettre que le vivant possède une spécificité au sein de la nature : celle de tendre vers un but, qui est de se maintenir dans l’existence soit par la réplication (pour les premières formes de vie apparues sur la Terre), soit par le biais de la reproduction sexuée (apparue plus tardivement) ?

Enfin, un troisième domaine, la philosophie de l’histoire, a cristallisé ce débat. Pour que l’histoire ait un sens, faut-il nécessairement qu’elle ait une direction, une finalité, qu’elle soit orientée ? Ou bien l’histoire peut-elle avoir du sens même en ne tendant vers aucun but ?

Mais, si les hommes cessent d’accorder crédit à l’idée de but, n’est-ce pas le nihilisme, autrement dit l’effondrement de toutes les valeurs, qui les guette ? Le nihilisme, le « plus inquiétant de tous les hôtes », comme le qualifiait Friedrich Nietzsche (1844-1900), en laissant s’évanouir toutes les significations, n’est-il pas lié au savoir objectif, contraint pour s’affirmer d’éliminer tous les buts pour ne s’en tenir qu’à des explications causales de type mécaniste ?

Le langage est signifiant

La philosophie grecque a placé le langage au centre de ses préoccupations, et au sein du langage le problème de la signification. On peut classer les principales théories du langage des penseurs grecs en fonction des deux registres de la notion de « sens » dont nous sommes partis. Pour les sophistes, les mots sont des outils qui, à l’instar des autres outils, visent un objectif, ici en l’occurrence influencer le récepteur de nos messages. Cette conception, poussée à son extrême par Gorgias (env. 483-env. 374 av. J.C.), se rapproche des théories actuelles de la communication. Le sens d’un message, c’est l’effet (aujourd’hui mesurable) qu’il a sur le récepteur de ce message.

Contre les sophistes, Platon (env. 428-env. 347 av. J.-C.) va élaborer une théorie très différente reposant sur l’autre registre de la notion de signification. Si les mots ont un sens, pense Platon, ce n’est pas parce qu’ils visent un récepteur ou un objet concret. Les mots sont trop généraux pour convenir à une réalité particulière. Avec eux, nous avons en vue une dimension transcendante, suprasensible : nous regardons en direction du monde des idées. Nos mots « signifient » à la fois parce qu’ils « sont le signe de » et parce qu’ils « disent le sens de ». En tant que signes, ils sont insuffisants, un même mot pouvant s’appliquer à une infinité d’objets. Mais en tant qu’ils disent le sens, les mots sont précieux, puisqu’ils expriment l’unité du multiple. Dans tous les premiers dialogues de Platon, qu’on nomme « aporétiques » parce qu’ils ne débouchent pas sur une solution du problème initialement posé, le travail de Socrate consiste à faire entrevoir à son interlocuteur cette réalité supérieure que visent nos mots. Par sa méthode qu’il compare à la maïeutique, Socrate « accouche » l’esprit de ses interlocuteurs en les amenant à quitter le terrain des choses sensibles pour les élever vers les idées.

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Il appartient à Aristote (env. 385-322 av. J.-C.), en tant que disciple de Platon, de prolonger ces réflexions dont il accepte l’essentiel en les jugeant toutefois trop abstraites. Pour Aristote, seuls les noms qui signifient par eux-mêmes sans qu’on ait besoin de leur adjoindre d’autres mots (comme on doit le faire entre autres pour les adjectifs, les verbes ou les adverbes) sont phonèsémantikè, « paroles douées de sens ». En soulignant le caractère sonore du langage, Aristote veut l’inscrire dans le monde réel plus fortement que ne l’a fait son maître Platon. Le sens de nos mots et de nos phrases est toujours lié à une intention de signifier, c’est-à-dire à l’intention de viser la forme universelle que notre intelligence est capable de distinguer dans le mélange de forme et de matière qui caractérise tous les êtres de la nature.

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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