SENS (notions de base)
L’invention du sens et la question de l’interprétation
Les belles constructions kantiennes approfondies par la phénoménologie sont-elles des armes suffisantes pour nous mettre à l’abri du nihilisme ? Si l’on revient à Nietzsche, on pourra noter qu’il explore dans son œuvre une issue « esthétique » au nihilisme. En éliminant le sens, l’homme comprend que c’est lui qui a inventé toutes les significations qu’il croyait repérer dans la nature, inconscient du fait qu’il les y avait projetées. Il se découvre artiste, créateur, et non plus simple spectateur comme les sciences voudraient qu’il se conçoive. Il perçoit en lui une capacité qu’il ignorait et qui pourrait redonner sens à son existence. Il s'ouvre en même temps à la riche pluralité des significations et à la nécessité de l’interprétation. Cette pluralité, parfois dénommée « polysémie » – terme qui signifie littéralement « pluralité des sens » – peut lui apparaître comme une richesse, ainsi que l’affirmait Paul Ricœur (1913-2005) : « La polysémie, à savoir le fait que les mots ont plusieurs significations, est le problème central de toute sémantique ; nulle herméneutique ne peut plus l’ignorer. Or [...] la polysémie [...] n’est pas une maladie du langage » (Exégèse et herméneutique, 1971). Jacques Derrida (1930-2004) va plus loin en substituant à la notion de « polysémie » celle de « dissémination ». Elle est ce qui interdit à l’interprétation de se clore sur elle-même, elle ouvre au lecteur une « multiplicité irréductible », une « richesse inépuisable du sens » (La Dissémination, 1969).
Prendre la mesure de la polysémie ou de la dissémination du sens, n’est-ce pas passer d’un nihilisme faible à un nihilisme joyeux ? L’homme qui invente des significations, n’est-ce pas l’artiste, le créateur, qui n’a plus besoin d’autres finalités que son acte créateur lui-même ?
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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