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SENSUALISME

Il n'est pas sûr que le sensualisme puisse être traité comme un système de pensée aux contours bien définis, partagé par une lignée d'auteurs importants. Le terme même est équivoque, et son usage est discuté. Le seul auteur que l'on donne pour représentatif, Condillac (1714-1780) avec son Traité des sensations (1754), ne l'a pas employé, puisqu'il n'entre dans la langue française qu'au xixe siècle.

Sensualisme peut s'entendre dans un sens large, mais qui risque d'être compris de façon péjorative : il désigne alors une pensée qui valorise tant le sensoriel que le sensuel dans l'ordre de la connaissance et dans l'ordre moral. Mais alors, le terme n'est pas utilisé pour identifier des doctrines ou des auteurs. L'école épicurienne qui paraît correspondre à cette définition est loin de s'en remettre aux sens, sauf pour ceux qui la caricaturent. Il y a un ordre de la nature qui s'impose dans l'usage des sens et nous ne pouvons atteindre la sagesse dans la pratique des plaisirs qu'en nous référant à lui.

Dans un usage plus strict du terme, le sensualisme paraît ne concerner que la connaissance. C'est pourquoi certains lui préféreraient le terme « sensationnisme ». Son idée de base est que toutes nos idées proviennent de la sensation, que toutes nos connaissances sont des sensations combinées et transformées de diverses manières. Cette thèse ne semble pas différente de celle de l'empirisme. Le premier ouvrage de Condillac : Essai sur l'origine des connaissances humaines (1740), reprend des idées de Locke. Mais tant Locke que Hume maintiennent une certaine différence entre fonctions sensibles et fonctions intellectuelles, entre sensation et réflexion. Au-delà des impressions qui nous viennent des choses sensibles, externes ou tirées de notre propre corps, il y a des impressions secondes d'états internes qui ne sont pas à mettre sur le même plan. L'expérience ne se réduit donc pas aux seules sensations. La thèse radicale de Condillac en revanche, surtout développée à partir du Traité des sensations, peut se formuler ainsi : dans l'homme, tout provient du sentir, non seulement les idées mais les facultés elles-mêmes. Tout comme nombre de ses contemporains imaginaient l'homme à l'état de nature, Condillac le voit comme une statue de terre sortie des mains du Créateur. Il veut rendre compte de la genèse de toutes ses connaissances et facultés à partir de la première sensation dont il serait capable. La statue ne dispose d'abord que d'un sens – l'odorat – qui ne juge pas par lui-même des objets extérieurs. On ne doit pas partir en effet de l'idée que l'homme sait d'emblée se rapporter aux choses du monde extérieur. Cette statue, écrit Condillac, « si nous lui présentons une rose, elle sera par rapport à nous une statue qui sent une rose ; mais par rapport à elle, elle ne sera que l'odeur même de cette fleur ». L'homme n'est pas un être qui simplement subit des sensations, mais il est sensation. Tout son être provient de la sensation qu'il est. « C'est donc des sensations que naît tout le système de l'homme, système complet dont toutes les parties sont liées et se soutiennent mutuellement » (Extrait raisonné du Traité des sensations).

Condillac prétend ainsi rendre compte non seulement des facultés de connaissance, mais de l'ensemble des facultés humaines, toutes étant fonction de connaissances acquises à partir des sensations. Il rend compte par exemple de l'apparition en l'homme d'un sens du devoir et de la loi, donc de la moralité. Même si tout a son origine dans la sensation et demeure continuellement fonction du sentir actuel, ce sensualisme n'est pas voué pour autant au relativisme et à l'hédonisme. Il se distingue de celui que l'on prête parfois à des[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Bourgogne

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