SENTIMENT DU TEMPS, Giuseppe Ungaretti Fiche de lecture
Publié en 1936, Sentiment du temps est le troisième recueil de Giuseppe Ungaretti (1888-1970). Mais dans Vie d'un homme, où se trouve réorganisée son œuvre poétique intégrale, il constitue le livre second. Situé entre L'Allégresse (1931, qui prend source dans Allégresse des naufrages paru en 1919) et La Douleur (1947), il est le livre central, né de la quintessence de la poésie ungarettienne, qu'on pourrait définir comme la perception exacerbée du temps et de la lumière. Si L'Allégresse demeure l'ouvrage le plus novateur, La Douleur le plus accessible et bouleversant, l'un et l'autre sont enrichis, sur le plan dramatique, par les violents traumatismes qui les ont engendrés – la guerre dans les tranchées, la mort d'un fils de neuf ans, Rome occupée par les troupes allemandes. À l'opposé, Sentiment du temps ne s'autorise que de sa seule force interne, elliptique et paradoxale. Comme l'a écrit Philippe Jaccottet, le poète « est [alors] entré dans l'été de sa vie ». Mais quand il célèbre la lumière, elle est toujours proche d'un aveuglement qui reconduit aux ténèbres. Là réside le drame de ce recueil, plus secret que dans les autres livres.
L'impossible ancrage
Ces poèmes furent écrits de 1919 à 1935 : les deux premières années de cette période correspondent au second séjour parisien d'Ungaretti, lorsqu'il épouse Jeanne Dupoix, les autres à la découverte de Rome et de son grand soleil baroque. Les thèmes les plus évidents – la mort qu'on médite et apprivoise, la solitude violente de l'amour, le dialogue de la lumière et de la nuit, « la fin de Chronos » – y vibrent dans une souveraine alliance de la forme brève et du souffle profond, de la concision et du chant. Ainsi, la dimension hymnique de cette poésie n'est pas réservée aux poèmes longs. Elle se perçoit tout autant dans les compositions qui ne comptent que quelques vers.
Poète de l'oasis et du désert, de l'impossible ancrage, Ungaretti écrit dans Sentiment du temps son adieu à la ville natale, Alexandrie (« Je suis d'un autre sang, je ne t'ai pas perdue »), et la tension de tout son être vers l'Italie de ses origines lucquoises (« Claire Italie, à la fin tu parlas/ À ce fils d'émigrants »). Après l'expérience de la Première Guerre mondiale, qui l'avait placé au cœur de la destinée collective, c'est par le recours au mythe qu'Ungaretti va aspirer au partage dans une Rome fasciste où son existence est celle d'un modeste employé ministériel. Le désir d'une terre et d'un projet collectif le pousse alors à consentir au fascisme de façon naïve, exempte d'idéologie (Mussolini accède au pouvoir en 1922, l'année même où le poète revient durablement dans la péninsule). À cet égarement mettront fin les horreurs de l'occupation nazie.
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Écrit par
- Bernard SIMEONE : écrivain, traducteur, directeur de collection et critique littéraire
Classification
Média
Autres références
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ITALIE - Langue et littérature
- Écrit par Dominique FERNANDEZ , Angélique LEVI , Davide LUGLIO et Jean-Paul MANGANARO
- 28 412 mots
- 20 médias
À partir des années 1930, on assiste à l’émergence de poétiques fortement divergentes. En poésie, le recueil Sentimentodel tempo (1933) de Giuseppe Ungaretti, devient le modèle du courant de la « poésie pure ». C’est cette forme poétique – mais aussi en partie le symbolisme et le surréalisme...