SÉPARATION DES POUVOIRS
L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 énonce que « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». De même, la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 fait du principe de séparation des pouvoirs une condition préalable à l'élaboration d'une nouvelle Constitution. Ces deux textes donnent une idée de l'autorité et de la pérennité en France des conceptions de Montesquieu, que deux siècles d'histoire constitutionnelle semblent avoir élevées au rang de dogme démocratique. Pourtant, de la Déclaration de 1789 à la Constitution de la Ve République, le sens donné à ces principes a bien changé.
La doctrine de Montesquieu
La séparation des pouvoirs est, dès sa formulation par Montesquieu en 1748 (De l'esprit des lois), marquée par une ambiguïté historique et conceptuelle provenant du fait qu'elle ne concerne pas seulement l'État et que, au sein de celui-ci, elle distingue la séparation des organes de celle des fonctions.
Aux xviie et xviiie siècles, l'absolutisme royal s'est affirmé en France et concentre alors les fonctions étatiques au détriment de l'aristocratie, dont Montesquieu fait partie. Hostile à cette mainmise politique, Montesquieu s'inspire de l'Angleterre qui, à l'inverse, a connu une différenciation des puissances « exécutrice », législative et juridictionnelle incarnées par trois forces sociales distinctes : le roi, l'aristocratie et le peuple. Cet équilibre social trouve peut-être la faveur de Montesquieu parce qu'il préserve le pouvoir de l'aristocratie, comme l'a souligné Louis Althusser, mais surtout parce qu'il interdit la monopolisation des trois fonctions par un seul organe : « Tout serait perdu si le même homme ou le même corps des principaux, ou des nobles ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes », écrit-il dans L'Esprit des lois. L'indépendance et la spécialisation des organes garantiraient les libertés publiques.
S'inspirant des institutions britanniques, Montesquieu résout tout autrement la question de la fonction législative. En Angleterre, le roi participe encore à cette fonction par son droit de veto et partage encore avec les chambres un pouvoir de proposition, si bien que son « pouvoir d'empêcher » contrebalance le « pouvoir de statuer » d'un Parlement vis-à-vis duquel les membres du cabinet, organe « tampon » entre ces deux forces, sont pénalement responsables (impeachment). Reprenant ce système des checks and balances, Montesquieu préconise quant à lui la collaboration de plusieurs organes (le roi et le Parlement) à la même fonction. Dans ce cas, « le pouvoir n'arrête pas le pouvoir » par la vertu de la spécialisation des organes mais par celle de leur collaboration. Ce partage de la fonction législative provient de l'inquiétude de Montesquieu face à la prépondérance d'un pouvoir législatif qui pourrait « se donner tout le pouvoir qu'il peut imaginer ». C'est pourquoi il écrit que l'exécutif doit pouvoir « arrêter les entreprises du corps législatif » sans réciprocité puisque « l'exécution ayant ses limites par sa propre nature, il est inutile de la borner ».
En outre, si l'on considère le flou dans lequel il laisse le pouvoir judiciaire – « pouvoir invisible » –, on perçoit dans sa théorie une hiérarchie implicite des pouvoirs tant du point de vue de leur souveraineté que des fonctions qu'ils exercent. Cette hiérarchie pose un problème logique relevé au début du xxe siècle par Raymond Carré de Malberg qui voyait mal comment des pouvoirs[...]
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Écrit par
- Hervé FAYAT : agrégé de sciences sociales, chargé de cours à l'université Paris-X-Nanterre
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