ESSENINE SERGE ALEXANDROVITCH (1895-1925)
Remontée, apogée, catastrophe
À son retour de Paris, Essenine publie sa Moscou des cabarets (1923) :
Je lis mes vers à des prostituées, Avec des bandits me gorge d'alcool.
Le découragement est complet. L'Occident est pourri. À quoi s'accrocher ?
J'ai honte d'avoir cru en Dieu Et je souffre de n'y plus croire !
Alors Essenine décide d'accepter la Russie soviétique. Il va chanter dans de longs poèmes les fastes révolutionnaires, la guerre civile, les vingt-six commissaires fusillés à Bakou par les Anglais, les trente-six déportés de 1905 en Sibérie, la transformation des campagnes. Nul ne lui en sut gré. D'ailleurs, c'était le passé. Au présent il n'arrivait pas à accorder sa lyre. Quand il retourne dans son village, il « sourit aux labours et aux bois », mais sa sœur « ouvre comme une Bible le ventru Capital ». « Une vache éclaterait en sanglots En voyant ce pauvre coin dévasté... » où Lénine a remplacé l'icône.
Il écrit beaucoup : dans ses trois dernières années, il composera deux fois plus de vers que de 1916 à 1922. Ce sont des vers graves et dépouillés, presque sans images : une manière nouvelle où dominent les mètres iambiques pouchkiniens et d'où ont disparu les vers purement toniques. Dans les pièces où s'épanchent avec simplicité ses regrets, sa mélancolie, son perpétuel amour de la nature, Essenine est parvenu à l'apogée de son talent. La Lettre à ma mère a fait couler bien des larmes, elle est toujours chantée :
Tu vis encore, ma chère bonne vieille... Je suis toujours le même tendre enfant... Vite quitter cet ennui désolant !... Je reviendrai quand notre blanc verger Pour le printemps épandra ses rameaux...
Alors qu'il voudrait se ranger, il cherche à se fuir en voyageant. Le Caucase lui inspire de beaux Motifs persans. Mais son mal est trop invétéré. Les Poèmes d'amour à Sophie Tolstoï, qu'il a épousée en juin 1925, sont glacés par l'amertume. Il n'arrête plus de boire. Il a des hallucinations, comme celle qu'il évoque dans son génial et tragique Homme noir. Il touche à la folie. Et ce sera la catastrophe.
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Écrit par
- Pierre PASCAL : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire de russe à l'université de Paris-Sorbonne
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