SERGE DE RADONÈGE saint (1314 env.-1392)
Le saint le plus vénéré de l'Église russe, modèle même d'une spiritualité créatrice, Serge de Radonège a joué un rôle décisif pour la libération de la Russie du joug tatar et pour la renaissance de la culture russe à la fin du Moyen Âge.
Vers 1350, se déclenche dans le pays le mouvement des poustynniki (« ceux du désert ») qui reprend dans le cadre de la forêt nordique les attitudes et caractéristiques originelles du monachisme : réponse spirituelle, semble-t-il, à l'effondrement de civilisation consécutif aux invasions mongoles. La figure centrale et partiellement l'initiateur de ce mouvement fut Barthélemy, devenu moine sous le nom de Serge Varfolomeï Kirillovitch, puis Sergui Radonejski. Né près de Rostov-la-Grande, il avait pour parents des boyards qui, ruinés par les incursions tatares et l'occupation moscovite, s'étaient réfugiés avec lui à Radonège. À leur mort, le jeune Barthélemy s'enfonce, bientôt seul, dans la forêt, « pour vaquer à l'œuvre du silence », et devient moine. Près de sa cellule, Serge construit une chapelle dédiée à la Trinité, fait sans précédent en Russie, mais sans caractéristique de la spiritualité de ce religieux qui, dans la vie monastique et sociale de son temps, tentera de favoriser une formule d'unité et de diversité à l'image de la Trinité. Serge mène une existence d'ermite pendant quelques années, travaillant durement de ses mains, méditant les deux seuls livres qu'il ait apportés avec lui, le Psautier et les Évangiles, vivant en paix avec les bêtes de la forêt. Peu à peu des compagnons le rejoignent : c'est l'origine du monastère de la Trinité Saint-Serge, Serguiev Possad et de la ville du même nom, à 80 kilomètres à l'est de Moscou. La communauté est d'abord idiorrythmique, mais Serge, avec l'appui du patriarche de Constantinople, y introduit une stricte vie en commun, selon une règle de type studite. Le cénobitisme, ici, s'oppose à l'individualisme idiorrythmique, mais nullement aux vocations de type érémitique : Serge, qui a été d'abord ermite, donne à plusieurs d'entre ses disciples sa bénédiction pour pratiquer le « silence perpétuel ».
Serge lui-même est un admirable exemple de synthèse entre la contemplation et l'action, entre l'état de prière et la charité active, voire l'intervention dans la vie politique. Il fait de son monastère un centre culturel doté d'une bibliothèque bien garnie et un centre social aussi bien pour les voyageurs que pour les paysans. Il conseille les princes et les métropolites de Moscou, accepte des missions politiques pour favoriser le rassemblement des terres russes autour de Moscou, seul moyen de libérer la nation du joug asiatique. En 1380, il bénit le grand-prince Dimitri lorsqu'il ose affronter les Tatars, qu'il bat à Koulikovo.
Sa vie intérieure, qui se traduit par l'humilité, la douceur et l'amour actif, nous reste cachée. Toutefois l'on sait, par son disciple et biographe Épiphane, qu'il a communié consciemment à la lumière et au feu divins, ceux-ci étant liés tantôt à l'eucharistie, tantôt à une vision de la Mère de Dieu.
Serge, par son action de présence, ainsi que ses émules et ses disciples, ont rééduqué le peuple russe, l'ont rendu capable de s'unir et de se libérer, ont déclenché un prodigieux renouveau non seulement spirituel, mais culturel. De 1340 à 1440, on enregistre plus de cent cinquante fondations de monastères, dont la moitié par essaimage de la communauté créée par saint Serge. La plupart de ces monastères s'établissent dans les forêts d'outre-Volga, ouvrant les voies à la colonisation paysanne. Un ami de Serge, saint Étienne de Perm, évangélise l'immense région qui s'étend jusqu'à l'Oural en traduisant dans la langue zyriane ([...]
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Écrit par
- Olivier CLÉMENT : agrégé de l'Université, professeur à l'Institut Saint-Serge de Paris
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