LIFAR SERGE (1905-1986)
Maître de ballet
Une rencontre va soudain orienter le destin de Lifar. Directeur de l'Opéra de Paris, Jacques Rouché fait appel au danseur puis lui demande de remplacer le chorégraphe Balanchine, alors souffrant, pour régler en hâte Les Créatures de Prométhée (1929) de Ludwig van Beethoven. Développant le rôle mythique du Titan qu'il incarne en mêlant d'instinct danse et sentiment, Lifar imprime à l'œuvre un caractère novateur qui surprend, choque ou séduit. Son triomphe incite Rouché à l'engager comme premier danseur et maître de ballet, après un bref passage dans la revue de l'imprésario Charles B. Cochran à Londres, où il conçoit et crée La Nuit (musique de Sauguet, décors et costumes de Christian Bérard ; 1930). En dépit de fréquentes tournées en Europe, en Amérique du Sud et du Nord, en Australie et en Asie, il va désormais consacrer à la compagnie, corps et âme, son dynamisme et son prestige.
D'emblée, l'adaptation mutuelle de l'ardent novateur et de la troupe engourdie par la routine ne va pas sans orages ni passions. Avant de lui consacrer son dernier livre, le critique André Levinson réclame : « Chassez ce barbare ! ». À côté d'essais moins accomplis, Lifar multiplie les audaces techniques dans Bacchus et Ariane (musique d'Albert Roussel, décors et costumes de Giorgio De Chirico ; 1931), folkloriques dans Sur le Borysthène (1932) de Prokofiev. Les premières maladresses sont éclipsées par l'hommage à la tradition qui caractérise le viril et aérien Spectre de la rose (musique de Weber sur une orchestration de Berlioz, chorégraphie de Fokine, 1931), le sensuel Faune, l'éblouissant Oiseau bleu dans Divertissement (musique de P. I. Tchaïkovski, chorégraphie de M. Petipa, 1932). Auprès d'Olga Spessivtseva, inoubliable Giselle (musique d'Adolphe Adam, chorégraphie d'après Jean Coralli et Jules Perrot, décors et costumes d'A. Benois), Lifar confère une grande intensité dramatique au Prince Albert, interprété, de 1932 jusqu'à ses adieux en 1956, avec une aura culminant dans sa mémorable entrée du deuxième acte. Il intègre danse et commedia dell'arte dans La Vie de Polichinelle (musique de Nabokov, costumes de Pedro Pruna, 1934), puis dans Salade (musique de D. Milhaud, décors et costumes d'André Derain, 1935). Ce succès incite Rouché à consacrer une soirée entière au ballet, et, à la demande de Lifar, à éteindre le lustre durant le spectacle, à réserver le foyer de la danse aux danseurs, au grand dam des abonnés. Soucieux de vivifier l'école française avec les espoirs de la compagnie qu'il envoie chez ses professeurs russes Vera Trefilova et Liubov Egorova, Lifar poursuit ses recherches stylistiques en fondant dès 1932 son cours d'adage, laboratoire où s'élabore son néo-classicisme. Parmi ses transgressions majeures figurent la chute après l'envol, l'arabesque décalée, l'appui oblique, le déhanchement, l'étirement des bras, la cambrure extrême du cou-de-pied. Son plié érotique en seconde position sera largement adopté après 1950.
En créant, en hommage aux pionniers de l'aviation Mermoz et Saint-Exupéry, le ballet culte Icare (1935), dont il a dicté à Arthur Honegger les rythmes arrangés pour instruments à percussion, Lifar illustre ainsi Le Manifeste du chorégraphe, publié simultanément, et qui constitue une étape décisive de sa réforme. Il y réclame la primauté de la danse et du rythme corporel sur la musique et le décor, se prononce pour son éventuelle autonomie et la reconnaissance des droits du chorégraphe. Entouré d'Yvette Chauviré, Suzanne Lorcia, Serge Peretti, Paul Goubé, il poursuit ce cycle héroïque en incarnant David triomphant (musique de Vittorio Rieti, décors et costumes de Fernand Léger, 1937), Alexandre le Grand (musique de Philippe Gaubert,[...]
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Écrit par
- Marie-Françoise CHRISTOUT : docteur d'État ès lettres, conservateur honoraire à la Bibliothèque nationale de France, écrivain et critique
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