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MERLIN SERGE (1932-2019)

Héritier d'Antonin Artaud, Serge Merlin fit partie de ces comédiens d'exception capables de conduire le spectateur jusqu'au bord de l'abîme. Son art se situait au-delà de toute norme, laissant le public dans un état d'émotion à l'intensité indicible.

Né le 29 décembre 1932 à Sainte-Barbe-du-Tlélat (Algérie), Serge Merlin a été révélé tardivement au grand public dans les films de Jean-Pierre Jeunet ; il est ainsi le chef des cyclopes dans La Cité des enfants perdus (1995), puis le voisin d'Amélie Poulain « au fabuleux destin », en 2001. Mais au théâtre, il fait partie de ce que l'on appelle les « monstres sacrés ». De ses débuts dans Christophe Colomb de Claudel, créé par Jean-Louis Barrault, à Marigny, en 1952, au Dépeupleur de Samuel Beckett mis en scène par André Françon en 2016-2017, il a au fil d'une quarantaine de spectacles, travaillé aux côtés de Camus (Les Possédés de Dostoïevski, 1959), Patrice Chéreau (Les Paravents de Jean Genet, en 1983), Matthias Langhoff (Le Prince de Hombourg de Kleist, 1984, Le Roi Lear de Shakespeare, 1986, La Dernière Bande, 1987, La Mission d'Heiner Müller et Le Perroquet vert d'Arthur Schnitzler, 1989), Bernard Sobel (La Forêt d'Ostrovski, 1989), André Engel (Le Réformateur et La Force de l'habitude de Thomas Bernhard en 1990 et 1997), Gerold Schumann (Minetti de Thomas Bernhard, 2009)... En 2010, il était dirigé par Alain Françon dans une lecture-adaptation d'Extinction, toujours de Thomas Bernhard, puis, l'année suivante, dans Fin de partie de Beckett. C'est à l'enseigne de ce même auteur et de sa Dernière Bande que les deux hommes se retrouvèrent en 2013 pour un spectacle mémorable.

Créé par Beckett lui-même au Schiller Theater de Berlin, en 1969, le texte a connu plusieurs remaniements et modifications au fil de ses reprises par son auteur. C'est la version initiale que retint Alain Françon, signant une mise en scène scrupuleusement fidèle aux didascalies, épurée, ascétique.

Immobile et muet, enfermé dans sa chambre entre cave et tombeau, un vieil homme est assis à sa table. Pris dans un rai de lumière, il grimace, frissonne. Il consulte sa montre à gousset avant de disparaître en coulisses et de revenir, les bras chargés de bobines et d'un magnétophone qu'il pose sur la table. Une voix enregistrée s'élève : « Trente-neuf ans aujourd'hui... » Il fallait voir Serge Merlin, visage buriné, le cheveu fou, l'œil perdu vers d'insaisissables lointains, interpréter d'une voix d'outre-tombe Krapp l'insomniaque, dans sa vaine quête d'avoir été, lui qui avait le sentiment de ne plus être. Il fallait l'entendre, entrecoupant de râles et de sifflements rauques les phrases et les silences, dans le temps des souvenirs arrêtés. Souvenir de « la maison du canal où maman s'éteignait ». Souvenir, plus encore, sur un lac, dans « une barque », de la femme aimée...

Illuminant, illuminé, Serge Merlin faisait jaillir de son corps toute l'angoisse existentielle de l'homme aux abois, souffrant, désarmé, confronté au néant. À quoi bon les regrets, quand l'âge avance et que la mort pointe ? Comment s'apitoyer sur ce que l'on n'a su faire, sur ce que l'on n'a pu retenir ? L’épreuve de cette intime désolation inspira à nouveau son interprétation du Roi Lear, cette fois dans une mise en scène de Christian Schiaretti (2013).

Serge Merlin meurt à Paris le 16 février 2019.

— Didier MÉREUZE

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Écrit par

  • : journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à La Croix

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Autres références

  • FIN DE PARTIE (mise en scène d'A. Françon)

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    • 758 mots

    « C'est laid, c'est sale, c'est désolant, c'est malsain, c'est vide et misérable. » Ainsi se plaignait le célèbre critique Jean-Jacques Gautier dans les colonnes du Figaro, quelques jours après la première en France de Fin de partie. S'en prenant à Beckett, qui «...