EISENSTEIN SERGE MIKHAÏLOVITCH (1898-1948)
La pensée du montage
La lecture d'Eisenstein a évidemment beaucoup changé en un demi-siècle. Longtemps, il a représenté l'artiste du cinéma par excellence, celui qui faisait entrer le nouveau moyen d'expression dans le cercle des arts majeurs, et un génie universel de son siècle. « Il est, écrit Jean Collet, le Vinci du cinématographe. Si haute que soit déjà sa place dans l'histoire du cinéma, on le sous-estime encore. Il est le premier, peut-être le seul à nos jours, à avoir pensé l'art du cinéma de manière aussi rigoureuse. Il invente une langue en même temps qu'il en formule les lois. En lui se réconcilient l'artiste, le technicien et l'homme de science, le théoricien et le poète. » Puis, avec la vague de publication des années 1970, en particulier en français, allemand et anglais, dans la mouvance des mouvements contestataires, on a vu en lui le produit de la révolution, un enfant de la culture bourgeoise qui inventait une vision nouvelle et, dans une synthèse utopique, faisait la théorie de ce travail. Depuis lors, divers travaux ont noté ce que chacune de ces tendances avait d'insatisfaisant. L'idée du génie universel avait surtout donné lieu à des interprétations biographiques psychologisantes, de Marie Seton à Victor Chklovski. Et celle du cinéaste de la révolution ne tient pas compte, loin de là, de la pluralité de sens de l'œuvre. De manières diverses, Jacques Aumont (Montage Eisenstein), Barthélémy Amengual (¡Que viva Eisenstein !), Naoum Kleiman (dans son film La Maison du maître) ont fait justice de ces abus d'interprétation.
L'idée centrale d'Eisenstein est que la vérité est dans les rapports, non dans les parties d'un tout. C'est le principe du montage – dont son œuvre est une illustration –, à condition de ne pas oublier que le montage cinématographique « n'est qu'un cas particulier du principe général de montage », clé de sa dialectique qu'il concilie sans peine avec le marxisme. Mais aussi, de son sentiment d'appartenir à l'histoire se déduit le besoin d'y intervenir par son art : « Est attraction tout moment agressif du théâtre, c'est-à-dire tout moment soumettant le spectateur à une action sensorielle ou psychologique [...] calculée mathématiquement pour produire chez le spectateur certains chocs émotionnels qui, à leur tour, une fois réunis, conditionnent seuls la possibilité de percevoir l'aspect idéologique du spectacle montré, sa conclusion idéologique finale. » Ces remarques de 1923 sur le théâtre sont développées jusqu'à concevoir un « cinéma intellectuel » vers la fin des années 1920. Eisenstein ne cessera d'évoluer dans son art comme dans sa réflexion. D'un manifeste esthétique et politique (les deux allant de pair), il va passer à l'affirmation d'une position individuelle dans une situation collective. Dans La Grève et Potemkine, tout se passe comme si seule une révolution de l'art pouvait dire la vérité de la révolution. Le moment où l'artiste peut se reconnaître dans la révolution est celui de la révolte, du soulèvement. Douze ans plus tard, Alexandre Nevski témoigne de la liberté que peut élaborer un créateur à l'intérieur de cette contrainte. D'une commande nationaliste, il fait un film de résistance. Entraîné par le mouvement de l'œuvre, il va sans doute au-delà de ses intentions dans Ivan le terrible, qui progresse d'une manière bouleversante dans le sens d'une introspection, bien plus inadmissible à l'époque que les aspects « terribles » du chef suprême volontiers identifié à Staline.
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Écrit par
- Bernard EISENSCHITZ : traducteur, historien du cinéma
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Médias
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