MOUILLE SERGE (1922-1988)
Originaire, comme l'architecte Charles Garnier, du quartier Mouffetard, un secteur populaire de la montagne Sainte-Geneviève à Paris, Serge Mouille entre à treize ans à l'École des arts appliqués. Après avoir travaillé sous la direction de Gabriel Lacroix dans l'atelier d'orfèvrerie, spécialité dont il sera diplômé, il s'installe à son compte, en 1945, avec l'intention de créer des couverts et de l'orfèvrerie de table. Il réalise alors un calvaire de trois mètres de hauteur en cuivre martelé pour l'église de Gérardmer.
Dès 1953, Serge Mouille commence ses recherches sur les formes en métal et la fabrication artisanale de luminaires, tout en assurant la direction de l'atelier d'orfèvrerie de l'École à laquelle il doit sa formation première. En 1955, il est élu à la Société des artistes décorateurs (S.A.D.).
L'année suivante, Steph Simon ouvre une galerie, 145, boulevard Saint-Germain : Charlotte Perriand et Jean Prouvé en sont les maîtres spirituels et ils accueillent Isamu Noguchi, Jean Luce et Serge Mouille. Une diffusion discrète de ses luminaires s'amorce ainsi que des commandes spéciales : réfectoires et chambres de la Cité universitaire d'Antony, universités de Strasbourg et d'Aix-Marseille, Centre d'essais en vol de Brétigny.
Atteint de tuberculose, Serge Mouille avait effectué un séjour en sanatorium en 1939. Vingt ans plus tard, il est à nouveau obligé d'arrêter ses activités et d'aller reprendre des forces en montagne. En 1961, grâce à la Société de création de modèles (S.C.M.), il peut exposer, au Salon des arts ménagers, une nouvelle collection de luminaires combinant la fluorescence et l'incandescence. Trois ans plus tard, la S.C.M. disparaît ; la fabrication des créations de Serge Mouille ne reprendra plus. L'artiste habite désormais aux environs de Château-Thierry et se consacre à l'enseignement. L'exposition Paris-Paris, présentée en 1981 au Centre Georges-Pompidou, comportait l'une de ses appliques à bras pivotants offerte ensuite au musée des Arts décoratifs.
Avec Serge Mouille, voué au métal uniformément peint en noir, le luminaire a trouvé un maître du dépouillement qui aurait enchanté les cisterciens. Ses réflecteurs aux formes pures, articulés sur des bras pivotants de portées diverses, marquent l'espace d'une présence discrète qui ne contredit pas leur efficacité. Fonctionnaliste, Serge Mouille, à la façon de Le Corbusier, a analysé l'ensemble des emplois auxquels doivent correspondre les luminaires et il en a inventé plusieurs familles. Ce sont les suspensions, les appliques murales à bras multiples, les lampes de bureau, les luminaires à pied. Très ingénieusement, chaque abat-jour — en forme de corolle — est associé à son support par une rotule décolletée en laiton poli dont la perfection faisait l'admiration de Jean Prouvé.
Ce premier type d'éclairage utilisait les lampes classiques à incandescence, mais Serge Mouille avait lancé une deuxième série d'appareils, la collection « Colonnes » : il s'agissait de cylindres ou de parallélépipèdes en métal ciselé contenant un tube fluorescent tandis que la partie supérieure comportait une ampoule incandescente. On disposait ainsi d'un éclairage d'ambiance et d'un élément décoratif lumineux dans le même appareil.
Dans la tradition de rigueur artisanale et de fonctionnalisme des meilleurs artistes du mouvement moderne fidèles à la devise de Mies van der Rohe « Moins est plus », Serge Mouille, avec de simples tubes d'acier et des abat-jour à la limite de l'usage industriel, a atteint une sorte de perfection « classique » qui défiera le temps. « Que de spiritualité ! », s'écriait Jean Prouvé : il avait exactement saisi la poésie métaphysique qui se dégage des œuvres de ce loyal serviteur[...]
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Écrit par
- Roger-Henri GUERRAND : professeur émérite à l'École d'architecture de Paris-Belleville
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