GUERASSIMOV SERGUEÏ (1906-1985)
À première vue, la carrière de Sergueï Guerassimov semble coulée dans le moule du cinéma officiel. Personnage public, il appartient à toutes les institutions possibles, du Soviet suprême à la rédaction de la revue Iskousstvo Kino. Quant à sa filmographie, elle prend un vrai départ au moment où le réalisme socialiste se fige en doctrine : son premier film marquant, Les Sept Braves, date de 1936. Après La Jeune Garde (1948), tiré du roman d'Alexandre Fadeïev, Guerassimov confirme son goût pour les adaptations littéraires avec les trois longs métrages du Don paisible (1957-1958), d'après Cholokhov, et conclut avec une version télévisée en cinq épisodes du Rouge et le Noir (1976), avant de consacrer en 1984 son film testament à Tolstoï (dont il tient le rôle).
Guerassimov, qui – entre deux films sur des « vocations professionnelles » dans le socialisme : L'Instituteur, 1939 ; Le Médecin de campagne, 1951 – a échappé aux corvées du culte de la personnalité, est avant tout connu pour sa Jeune Garde. Ce film en deux parties consacré à la résistance antinazie dans le bassin du Don enthousiasma les militants à l'étranger. Tourné en un an et demi sur les lieux mêmes de l'action, il fut – malgré le prix Staline décerné au livre dont il était l'adaptation – soumis en cours de production à d'acerbes critiques, qui lui reprochaient d'exagérer la spontanéité de la résistance et de négliger le rôle du parti. Le résultat fut, selon les termes de Jay Leyda, un des films « artistiquement les moins modestes jamais produits en Union soviétique », et il faut bien en attribuer la responsabilité première au cinéaste.
Il faut cependant amender ce portrait unidimensionnel. Guerassimov répond parfaitement à la demande quand il s'agit de tourner des films d'action sur des héros jeunes, à l'américaine, et traversés par l'esprit de l'époque : Les Sept Braves, Komsomolsk (1938). Mais son terrain favori est l'intimisme : avant guerre, le cinéaste voulait tourner un film sur Tchekhov : « Je rêve de montrer le sens de la modestie combiné au talent. » C'est cette préoccupation qui produit ses meilleurs films, à dominante contemporaine, dont il écrit souvent lui-même le scénario : ainsi,, la « tétralogie » constituée par Hommes et bêtes (1962), Le Journaliste (1967), Au bord du lac Baïkal (1969) et Pour l'amour de l'homme (1972). Celui qui anima pendant des années un atelier de réalisation et d'art dramatique au V.G.I.K. (Institut central du cinéma), confiant ses premiers rôles à des comédiens jeunes, qui étaient parfois ses élèves, maintenait une continuité – ténue, sans doute – avec la « Fabrique de l'acteur excentrique », la F.E.K.S., où il avait fait, à la fin des années vingt, d'impressionnants débuts devant la caméra, sous la direction de Kozintsev et Trauberg. On le voit ainsi dans Michka, Le Manteau, La Nouvelle Babylone.
Il devait revenir à ce premier métier dans son propre Mères et filles (1974), « mélodrame à l'italienne étonnant de jeunesse et de liberté de ton » (E. Breton), dans lequel il campe avec ironie un académicien toujours entre deux avions : autoportrait moins solennel que bien d'autres, figure moins figée qu'il n'y paraît, même si ce n'est pas celle d'un grand auteur de films.
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Écrit par
- Bernard EISENSCHITZ : traducteur, historien du cinéma
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RUSSE CINÉMA
- Écrit par Bernard EISENSCHITZ
- 10 135 mots
- 6 médias
...seconde partie d'Ivan le Terrible, ainsi que des films de Poudovkine, Loukov, Kozintsev et Trauberg, dont l'association est définitivement rompue. Le film officiel de Guérassimov, La Jeune Garde (1948), tiré d'un roman de Fadeïev sur les jeunes partisans communistes qui avait reçu le prix Staline,...