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PARADJANOV SERGUEÏ (1924-1990)

D'origine arménienne, né à Tbilissi, Sergueï Paradjanov a passé sa vie en Géorgie. Il se destine à la musique avant de changer d'avis et de partir pour Moscou apprendre le cinéma dans une école. Il en sort en 1952 puis se rend en Ukraine, aux studios de Kiev, où il réalise ses premiers films. Le quatrième, Les Chevaux de feu (1964), est adapté d'un récit de l'écrivain ukrainien Mikhaïl Kotsioubinski. Dans ce Roméo et Juliette ukrainien, Paradjanov met en scène le milieu rural sans jamais tomber dans le folklorisme décoratif. Son film frappe par 1a beauté chatoyante des couleurs et la puissance de ses mouvements de caméra amples et vifs. L'espace n'est pas montré, il est ciselé par une caméra qui nous entraîne dans le labyrinthe que dessinent ses arabesques.

Autant Les Chevaux de feuapparaissent comme la traversée sidérante d'un lieu, autant le film suivant, Sayat Nova (1969), tourné en Arménie, est frappé du sceau de la fixité, propre à la peinture, et singulièrement à l'icône. À la profondeur de champ, Paradjanov substitue l'aplat des couleurs. Il y a là tout un art de la miniature, de l'enluminure, de la lettre-image qui ourle le film et en fait une suite de tableaux-vivants muets. Le cinéma de Paradjanov est un cinéma de la fascination hypnotique qui puise sa force au fond de ces images immobiles, où des corps sages qui prennent la posevous regardent fixement, animent le plan d'une vie intérieure, secrète et envoûtante. Chacun de ses films est nourri concrètement de tous les arts, à croire que le cinéaste s'est donné pour mission d'être le dépositaire de toutes les civilisations et religions qui ont traversé géologiquement son lieu.

En 1984, Paradjanov réalise, avec Dodo Abachize, La Légende de la forteresse de Souram, qui révèle une nouvelle dimension, celle du souffle épique issu du conte oral populaire doublé d'un primitivisme qui nous fait retourner aux origines. Un cinéma de troubadour, de bateleur de foire, donc, avec sa truculence et sa beauté. À côté des films de Paradjanov, trop peu nombreux, il y a sa vie, fort mouvementée. Ses premiers ennuis avec les autorités soviétiques remontent à Sayat Nova, jugé incompréhensible et qui, à la demande de Paradjanov, sera remanié par Sergueï Youtkevitch. Ses projets de films sont refusés, et le cinéaste est arrêté en 1974 (on l'accuse de trafic d'objets d'art et d'homosexualité) et interné en camp de travail. Sous la pression de comités de soutien à l'étranger, il sera libéré en 1977 avant d'aller de nouveau en prison en 1982. Là, il écrit des scénarios, peint, fait des collages qu'on exposera à Tbilissi et Erevan. Il sort pour la première fois d'URSS en février 1988, et réalise la même année AchikKerib (Les Légendes du vieux Caucase). Fatigué, usé, il meurt en 1990, en plein tournage de Confession, d'après Lermontov. Pour lui, comme pour d'autres cinéastes (notamment Tarkovski, l'exilé), la perestroïka est arrivée trop tard.

— Charles TESSON

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Écrit par

  • : critique de cinéma, maître de conférences en histoire et esthétique de cinéma, université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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