RACHMANINOV SERGUEÏ VASSILIEVITCH (1873-1943)
L'interprète en exil
En décembre 1917, deux mois après la prise du pouvoir par les bolcheviks, Rachmaninov profite d'une tournée en Scandinavie pour émigrer. Il ne retournera jamais dans son pays, et passera les vingt-cinq dernières années de son existence entre l'Europe et les États-Unis. Sa vie matérielle s'organise rapidement, et sa renommée de virtuose hors pair lui apporte l'admiration et la fortune. Toutefois, vivant désormais essentiellement de son talent d'interprète, il est astreint à de longues heures de travail à son clavier, afin de se constituer un répertoire qu'il ne possédait pas jusque là. Il effectue de nombreux enregistrements pour la Radio Corporation of America (R.C.A.), dont se dégage l'intégrale de ses concertos sous la direction de Leopold Stokowski et d'Eugene Ormandy à la tête de l'Orchestre de Philadelphie, de nombreuses œuvres de Chopin (Deuxième Sonate, Troisième Ballade, Troisième Scherzo, valses, nocturnes), de Schumann (Carnaval), de Liszt (Rhapsodie espagnole, Ronde des lutins, Deuxième Rhapsodie hongroise avec une cadence de sa composition)...
En 1931, Rachmaninov est élu président d'honneur de la Société musicale russe à l'étranger. Mais, depuis son émigration, sa production musicale s'est raréfiée. Il faut en rechercher les raisons autant dans les obligations de sa vie de concertiste que dans le choc résultant de l'éloignement de son pays, dont il souffre profondément. De fait, il aura écrit plus des trois quarts de son œuvre avant la Révolution. Entre 1926 et 1940, six partitions seulement voient le jour : le Quatrième Concerto pour piano, opus 40 (1926), mal accueilli et qui sera remanié en 1941, Trois Chansons russes, pour voix et orchestre, opus 41 (1926), les Variations sur un thème de Corelli, pour piano (1931), la Rhapsodie sur un thème de Paganini, pour piano et orchestre (1934) – qui constitue de fait son cinquième concerto, ne se différenciant de la tradition du genre que par la forme choisie d'un cycle de variations –, la Troisième Symphonie (1936) et les Danses symphoniques, pour orchestre (1940). Il faut ajouter une série de transcriptions, effectuées à l'usage de ses récitals, dont Prélude, gavotte et gigue de la Partita pour violon seul en mi majeur, BWV 1006, de Bach, Le Vol du bourdon de Rimski-Korsakov, le scherzo du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn... La qualité de ses dernières œuvres ne le cède en rien à celle des précédentes, et atteste même d'une intégration, certes très parcimonieuse, de quelques éléments nouveaux – musique américaine, en particulier –, alors qu'il restera toujours un adversaire irréductible des recherches sonores du xxe siècle. En U.R.S.S., la musique de Rachmaninov est passée par une phase de rejet après 1931, à la suite d'une déclaration virulente qu'il publie cette année-là contre les crimes du régime soviétique, mais elle ne tardera pas à reprendre sa place, surtout dans le répertoire des pianistes, pour lesquels il reste, aujourd'hui encore, une référence de premier plan. En 1942, Rachmaninov donne un récital au profit de l'Armée rouge luttant contre l'occupation nazie de l'U.R.S.S. Il meurt le 28 mars 1943 à Beverly Hills, en Californie, emporté par un cancer à quatre jours de son soixante-dixième anniversaire.
Jugé parfois « décalé » par rapport à son époque – il est quasi contemporain de Ravel, de Bartók, de Schönberg –, Rachmaninov reste cependant un compositeur dont la physionomie musicale est aisément identifiable et ne fait aucunement de lui un épigone. Son style s'est formé par une intégration d'influences diverses, parmi lesquelles celles de Chopin, de Schumann, de Liszt et de Tchaïkovski, et son impact émotionnel tient autant à son invention mélodique, à la générosité de sa texture sonore (le style « carillonnant[...]
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Écrit par
- André LISCHKE : docteur en musicologie, maître de conférences à l'université d'Évry, retraité
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