SÉRIES TÉLÉVISÉES
La sérialité américaine en héritage
Si la narration feuilletonnante trouve sa source dans une longue tradition qui pourrait remonter jusqu’à la Bible et aux récits homériques, elle hérite plus spécifiquement, à la télévision, de trois formes d’expression et d’autant de médiums associés : le roman-feuilleton dans la presse papier, le serial cinématographique et le feuilleton radiophonique.
Lié au développement de la culture de masse dans les pays occidentaux au xixe siècle, le roman-feuilleton paraît dans de grands quotidiens sous forme d’histoires à suivre. Régulièrement, il conclut ses épisodes par des cliffhangers, soit une fin ouverte afin de pousser les lecteurs à continuer d’acheter le journal pour connaître l’issue d’un danger extrême : suspendu à une falaise (ou dans toute autre situation produisant une tension équivalente), le héros en péril parviendrait-il à en réchapper ? Des titres tels que Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain furent publiés mensuellement par Arthème Fayard de 1911 à 1913, ce qui incita Louis Feuillade à porter cinq volumes sur grand écran entre avril 1913 et mai 1914.
Aux États-Unis, les pulps (magazines bon marché commercialisés au début du xxe siècle) et les comicstrips (bandes dessinées de quelques cases en bandeau) suscitent, pour leur part, des serials, c’est-à-dire des films à budget restreint découpés en épisodes assez courts pour être projetés au cinéma en première partie d’un ou de deux longs-métrages plus prestigieux. Du western à la science-fiction, ces préambules partagent une même intrigue « à suivre », l’objectif étant là encore d’instaurer un rendez-vous avec le spectateur. Parmi les plus grands succès du genre se trouve Flash Gordon. Il est adapté à trois reprises en serial entre 1936 et 1940, ouvrant chacun de ses épisodes par une reprise des dernières minutes de l’épisode précédent – ce qui préfigure le récapitulatif des événements précédents que l’on retrouvera, un demi-siècle plus tard, en ouverture des épisodes de séries feuilletonnantes américaines pour rafraîchir la mémoire du public. Les serials ont également inspiré les « clip shows », ces épisodes visant à faire des économies en reprenant des extraits d’épisodes précédents présentés sous forme de flashbacks.
De l’écrit au grand écran, les récits feuilletonnants peuvent décliner leur structure en épisodes et reconduire leur refus d’une résolution immédiate. Dans les années 1920, l’émergence de la radio commerciale permet quant à elle de donner naissance aux soap operas, feuilletons sponsorisés par des marques de savon (soap en anglais) ou de lessive, diffusés quotidiennement en journée et ciblant en priorité les femmes au foyer. Lancé à la radio en 1937, Haine et passion (Guiding Light) se poursuit à la télévision à partir de 1952 : diffusé jusqu’en 2009, comptant 18 262 épisodes (en incluant sa première vie radiophonique), ce soap opera devient le programme de fiction le plus durable jamais créé, toutes nations confondues. Diffusé l’après-midi du lundi au vendredi (daytime soap), ce type de feuilleton télévisuel est rejoint, à la fin des années 1970 par des soap operas de soirée, hebdomadaires, donnant lieu à des tournages extérieurs en plus des traditionnels plans en intérieur : les nighttime soaps. Ce format est inauguré à la fin des années 1970 par Dallas (1978-1991), dont le succès croissant conduira au cliffhanger le plus célèbre de l’histoire de la télévision américaine : pendant huit mois, entre le 21 mars et le 21 novembre 1980, les États-Unis se demanderont « qui a tiré sur J. R. ? », l’entrepreneur arriviste et machiavélique incarné par Larry Hagman.
Le feuilleton radiophonique pose également les fondations de deux autres genres fictionnels devenus canoniques à la télévision américaine : la [...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Benjamin CAMPION : docteur en études cinématographiques et audiovisuelles, enseignant contractuel à l'université Paul-Valéry-Montpellier III
Classification
Médias
Autres références
-
BERGER JOHN (1926-2017)
- Écrit par Catherine BERNARD
- 838 mots
Fils d’un émigré hongrois et d’une Londonienne longtemps active auprès des suffragettes, John Berger naît le 5 novembre 1926 à Stoke Newington, dans la banlieue nord de Londres. Artiste protéiforme ‒ peintre, dessinateur, romancier, essayiste, scénariste, poète ‒, il débute son éducation artistique...
-
BLUWAL MARCEL (1925-2021)
- Écrit par Isabelle DANEL
- 699 mots
- 1 média
Comme Stellio Lorenzi, Claude Barma et Claude Loursais, Marcel Bluwal fut l’un des pionniers de la télévision française. On lui doit notamment des dramatiques en direct qui firent date, des feuilletons mémorables et de grandes adaptations de textes du répertoire.
Fils unique d’Henri et Eda Bluwal,...
-
CAMPILLO ROBIN (1962- )
- Écrit par René PRÉDAL
- 808 mots
- 1 média
Tout à la fois monteur, scénariste et auteur-réalisateur, Robin Campillo est né le 16 août 1962 à Mohammédia au Maroc. Il fait ses études à Aix-en-Provence et intègre, au milieu de la décennie 1980, l’IDHEC (Institut des hautes études cinématographiques) où il rencontre Laurent Cantet...
-
CINÉMA (Cinémas parallèles) - Le cinéma d'animation
- Écrit par Bernard GÉNIN et André MARTIN
- 17 657 mots
- 5 médias
Pendant une bonne décennie (les années 1970), l'animation japonaise s'est vue réduite à un genre qui se résume à sa propre caricature : la « série-télé », avec Goldorak pour les garçons, Candy pour les filles. D'un côté, le cyborg hérissé d'armes redoutables, icône d'un... - Afficher les 24 références