SÉROTONINE (M. Houellebecq) Fiche de lecture
La sortie d’un roman de Michel Houellebecq constitue un événement tel qu’il « écrase » la rentrée littéraire et qu’on ne parle, ou presque, que de lui. Sérotonine (Flammarion, 2019) n’a pas fait exception à la règle. Qu’a retenu la critique de ce septième roman ?Deux choses, essentiellement : Houellebecq y aurait prédit, avec quelques mois d’avance, la crise sociale des « gilets jaunes », qui s’est installée en France à partir de novembre 2018 ; et il aurait livré un ouvrage romantique, exaltant le sentiment amoureux au point de faire poindre une note lumineuse et consolatrice dans une œuvre jusqu’alors globalement désespérée. Sérotonine, donc, un roman à la fois sociologique et sentimental ? Ce n’est ni tout à fait faux, ni tout à fait vrai.
Au bord du vide
Au moment où commence le récit, Florent-Claude Labrouste, quarante-six ans, prend chaque matin un antidépresseur d’une nouvelle génération, le Captorix, qui a entre autres pour effet secondaire de le rendre sexuellement impuissant. Il vit à Paris avec une jeune Japonaise, Yuzu, adepte de soirées libertines et par ailleurs si détestable que, pour s’en débarrasser, Florent-Claude va choisir de disparaître : il quitte donc son travail, son appartement et, « dénué au fond de raisons de vivre comme de raisons de mourir », part vivre de ses rentes dans un hôtel du XIIIe arrondissement.
S’ouvre alors la récapitulation de son existence, avec en perspective cette volonté, exprimée par la suite, « d’établir un bilan, de se persuader au moment ultime que l’on a vécu ». Florent-Claude retrace sa carrière professionnelle, commencée, après des études à l’Agro, chez Monsanto, avant qu’il ne démissionne pour partir travailler en Normandie à l’exportation des fromages français. Il évoque surtout les différentes femmes avec lesquelles il a vécu. Claire, d’abord, une actrice typique du milieu « bobo » parisien ; la danoise Kate, « la dernière de [s]es amours de jeunesse, la dernière et la plus grave », quittée par lâcheté et sans vraiment savoir pourquoi ; Camille, enfin, une jeune vétérinaire avec laquelle il a vécu à Clécy, celle qu’il a le plus aimée, avec laquelle il a connu le bonheur, mais qu’il a laissée partir après qu’elle a découvert qu’il l’avait trompée.
Florent-Claude revoit Claire, désormais dépressive, affreuse et alcoolique ; puis il part en Normandie rejoindre Aymeric d’Harcourt-Olonde, un aristocrate, le seul véritable ami qu’il ait eu à l’Agro, et qui est devenu agriculteur. La dernière fois que Florent-Claude avait vu Aymeric, au début des années 2000, celui-ci, récemment marié, peinait à développer son exploitation agricole. Lorsqu’il le retrouve vingt ans après, sa femme l’a quitté, l’exploitation est au bord de la faillite, et Aymeric a un « regard creux, mort, qu’il sembl[e] impossible de distraire, davantage que quelques secondes, de la contemplation du vide ». Florent-Claude assiste, impuissant, aux tentatives d’action de plus en plus désespérées des agriculteurs normands, pris dans la nasse de l’« énorme plan social » invisible qui frappe l’agriculture française. La dernière de ces tentatives se dénoue tragiquement : alors que ses compagnons bloquent une autoroute et font face, armés, aux CRS, Aymeric retourne son arme contre lui ; son suicide déclenche une fusillade où tous les manifestants trouvent la mort. Florent-Claude, bouleversé, va chercher à retrouver Camille, dont il apprend qu’elle habite l’Orne et qu’elle élève seule un fils. Il se contente de l’observer de loin. Envisageant de tuer l’enfant, il renonce in extremis ; plus rien, dès lors, ne semble pouvoir freiner son « chemin vers l’anéantissement ».
De retour à Paris il planifie son suicide, se laissant uniquement le temps d’assécher ses ressources financières pour ne pas léguer[...]
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Écrit par
- Agathe NOVAK-LECHEVALIER : maître de conférences en littérature française, université de Paris-Nanterre
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