SÉROTONINE (M. Houellebecq) Fiche de lecture
Une traversée des ombres
Reprenant en apparence, dans son intrigue, certains codes du roman réaliste, Michel Houellebecq les détourne une nouvelle fois pour s’échapper ailleurs. Car si Sérotonine affiche bien, comme presque tous les romans précédents, une ambition sociologique, il est surtout le plus métaphysique d’entre eux – et sans doute aussi le plus noir et le plus désespéré. Roman nocturne, roman des ombres et de la brume sur lequel une « ambiance de catastrophe » pèse en permanence, Sérotonine a toutes les allures d’une descente aux enfers ; et les silhouettes qui émergent depuis les limbes des souvenirs, comme le narrateur lui-même, y apparaissent comme des spectres incertains, flottant dans une réalité intermédiaire et devenus presque inaccessibles. Y a-t-il encore une issue possible ? Au cœur de « la nuit éternelle », peut-on sauvegarder le souvenir du soleil ? Lorsque l’on pénètre en enfer, peut-on encore espérer le salut ? Ce sont ces questions qui sous-tendentle roman.La littérature, pour Houellebecq, a toujours posé des questions de vie et de mort, ou plus exactement de possibilité de survie. Sérotonine aussi.
Or, au fond de cet abîme où le bonheur n’apparaît plus que comme « une forme de rêverie ancienne », seul l’amour, capable de dérégler le cours du temps, semble offrir une solution. Houellebecq l’évoque à travers toute la tradition du lyrisme romantique, représentée en particulier par Lamartine, qui fournit l’un des intertextes essentiels du roman. Cependant – et c’est l’une des principales leçons de Sérotonine – nous avons « trahi l’amour », comme nous avons bradé toute forme d’idéal. C’est pourquoi le roman s’achève sur cette page qui regrette que les hommes ne tiennent pas compte des « signes extrêmement clairs » qui leur sont envoyés par Dieu, et lance un appel à la foi assez inattendu chez un écrivain qui a maintes fois dit son athéisme. L’humanité saura-t-elle « espérer au-delà de toute espérance » – et, à nouveau, guetter la grâce ? Pour l’auteur de Sérotonine, manifestement, là est notre seule perspective de salut.
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Écrit par
- Agathe NOVAK-LECHEVALIER : maître de conférences en littérature française, université de Paris-Nanterre
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