SERVAGE
Dans l'Europe féodale, le servage apparaît comme une adaptation de l' esclavage aux exigences d'une morale nouvelle, à l'effacement des institutions de droit public, au renforcement de l'aristocratie, et surtout aux nécessités d'une économie privée de moyens techniques, où le travail humain demeure un facteur fondamental de la production, mais où les profits de la guerre de pillage tiennent moins de place que naguère. Il situe une large portion de la population travailleuse dans une dépendance héréditaire à l'égard des maîtres du sol. Il met à la disposition de ceux-ci d'importantes réserves de main-d'œuvre. Toutefois, il tient le serf pour une personne. Il lui laisse une certaine part d'initiative économique et le place en situation d'élever ses enfants, brisant ainsi les obstacles que l'extension de la servitude opposait à l'essor démographique. Le passage de l'esclavage au servage entre le viiie et le xie siècle est l'un des facteurs de la croissance économique de l'Occident. La poursuite de cette croissance et les progrès qu'elle entraîna conduisirent le servage à se résorber. Dans l'Europe de l'Ouest, il n'en subsistait que des vestiges à la fin du Moyen Âge. En revanche, dans l'Europe de l'Est, un nouveau servage s'est, à ce moment, solidement constitué pour demeurer jusqu'à une époque récente l'une des bases des structures économiques et sociales.
De l'esclavage au servage
En français, le mot « servage » provient d'un terme du langage populaire médiéval, le mot « serf », lequel dérive lui-même du latin servus qui, dans l'Antiquité classique, désignait proprement l'esclave. L'étymologie traduit effectivement la réalité d'une évolution sociale : dans les sociétés de l'Europe occidentale, le servage s'est lentement substitué à l'esclavage entre le viiie et le xie siècle.
Dans la civilisation répandue par Rome parmi les provinces qu'elle avait conquises, aussi bien que dans celles des peuples indigènes soumis ou des tribus germaniques qui envahirent l'Empire au début du Moyen Âge, une distinction juridique fondamentale séparait les hommes en deux catégories : les libres et les esclaves.
Les premiers relevaient de la loi et des institutions publiques. Les seconds étaient la propriété privée d'un maître. Démunis de tout droit, ils apparaissaient comme des outils vivants dont le possesseur pouvait se servir à sa guise jusqu'à ce qu'ils devinssent hors d'usage. Ce n'étaient pas des personnes, mais des biens mobiliers, au même titre que les animaux domestiques ; ils étaient, de fait, traités comme ceux-ci. À la ville et dans les campagnes, dans les ateliers, sur les navires, aux champs, les esclaves des deux sexes exclus du peuple figuraient parmi les instruments de production.
Lorsque se désagrège l'Empire romain, un lent processus se met en marche en Europe occidentale, qui conduit à la disparition de l'esclavage. La diffusion du christianisme ne fut pas sans contribuer à cette évolution. La religion nouvelle proposait en effet comme un acte de piété l'affranchissement des esclaves ; elle proclamait – et c'est là que réside sans doute l'essentiel de son intervention – que tous les êtres humains ont une âme et sont égaux devant Dieu, qu'ils sont par conséquent soumis aux mêmes règles morales ; elle fit ainsi peu à peu admettre que les esclaves étaient eux aussi des personnes, et reconnaître, modification capitale, qu'ils détenaient certains droits, notamment des droits familiaux. Toutefois, le christianisme n'a pas attaqué de front l'esclavage : il ne le condamnait pas explicitement, car il ne se souciait pas de changer les structures de la société terrestre, pour lui négligeables. La résorption de l'esclavage et ses transformations internes furent[...]
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Écrit par
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